Janine Ponty, Les
Polonais en France de Louis XV à nos jours (2008) : erreurs et approximations dans les
développements concernant Frédéric Chopin
Classement : biographie ; Frédéric Chopin
Ceci est la suite de la page A
propos du livre de Janine Ponty (2) Les
Polonais en France, où on trouvera la table des matières de
l’ouvrage.
Je donne ci-dessous les extraits concernant Frédéric Chopin
(pages 53 à 57), qui se trouvent dans le chapitre 3 : « La Grande
Emigration », suite à un développement sur Adam Mickiewicz.
En gras, les phrases qui sont ensuite l’objet de remarques.
Référence
*Janine Ponty, Les Polonais en France De Louis XV à nos jours, Monaco, Editions du Rocher, coll. « Gens d’ici et d’ailleurs », 2008 ISBN 978 2 268 06203 7
Extraits
« Page 53
La musique : Frédéric Chopin
La musique : Frédéric Chopin
Fut-il français ou
polonais ? Né d’un père lorrain et d’une mère polonaise, ayant vécu ses
vingt premières années en Pologne, sept
mois à Vienne, puis dix-huit ans en France à l’exception d’un hiver aux
Baléares, il semble bien être l’un et l’autre.
Or, chacun des deux pays le veut
pour lui seul. Nombre de mélomanes français préfèrent ignorer que cet enfant
prodige avait déjà beaucoup composé à Varsovie avant son départ, notamment les
deux célèbres concertos pour piano et orchestre qu’il joua, l’un à dix-neuf
ans, l’autre à vingt ans devant un public de compatriotes subjugués. En outre,
il faut être polonais ou en posséder intimement la culture pour reconnaître
dans ses œuvres les emprunts au folklore rural traditionnel. A l’inverse, la
Pologne le revendique toute entier comme si l’exil n’avait rien changé à sa
créativité musicale. […]
54
[…].
La dualité France-Pologne
subsiste au-delà de la mort : Chopin repose à Paris au cimetière du
Père-Lachaise mais, selon un vœu qu’il avait exprimé, son cœur fut placé dans
une urne, transporté à Varsovie et scellé à l’intérieur d’un pilier de l’église
de la Sainte-Croix, à quelques pas de l’immeuble qu’il avait habité, enfant.
Revenons sur les racines
familiales. Il existe un lien entre
Stanislas Leszczynski et Chopin. Sans
le premier, le second n’aurait pu voir le jour. Pourtant, ils ne se sont
pas connus : le roi de Pologne mourut à Lunéville en 1766 et Frédéric est
né à Zelazowa Wola en 1810 […]. Le relais entre les deux hommes se nomme
Nicolas Chopin, fils de François Chopin, forgeron et viticulteur à Marainville,
un petit village lorrain. Le garçon entra très jeune au service de Jan Adam
Weydlich qui se chargea de son éducation. Weydlich
était venu de Pologne pour administrer les biens d’un noble polonais de
l’entourage de Stanislas. Nicolas a seize ans quand la famille Weydlich
retourne à Varsovie : il les accompagne. Ce Nicolas est le père de
Frédéric.
Le patronyme n’a évidemment rien de polonais et fut parfois
orthographié « Szopen », afin de permettre à ses compatriotes
d’en respecter approximativement la prononciation.
55
En revanche le prénom, écrit Fryderyk sur l’acte de baptême, est celui de son
parrain, Fryderyk Skarbek. Nicolas se polonise au point de transformer son
propre prénom en celui de Mykolaj, l’équivalent polonais. S’il ne cache pas son
origine lorraine, il tait le statut social de son père et prétend être né à
Nancy. Car Nicolas Chopin possède de multiples talents : violoniste,
flûtiste pour son plaisir, pédagogue de métier et si apprécié que, d’abord employé comme précepteur dans une
famille aisée de Zelazowa Wola, il grimpe vite les échelons : sitôt
après la naissance de son fils, il est nommé professeur de français au lycée de
Varsovie, puis à l’école d’ingénieur et d’artilleurs de la ville. En famille,
on parle polonais, mais les quatre enfants apprennent l’allemand et le
français, comme il se doit dans la bonne société d’alors.
En 1830, déjà célèbre en Pologne, Fryderyk quitte les siens, pour deux
ou trois ans, pense-t-il, poussé par la nécessité d’une tournée européenne
destinée à le faire connaître. Un compositeur doit voyager, être introduit
auprès des grand, donner des concerts, trouver des éditeurs. Ce périple, il le retarde de mois en mois,
saisi de crainte à l’idée de plonger dans l’inconnu. Finalement, il l’entreprend au mois d’octobre. Direction Vienne. A
quelques semaines, près, il se serait trouvé mêlé à l’insurrection de Varsovie
qui éclate le 29 novembre. […] Après Vienne, il envisageait une tournée
italienne, et Paris en dernier lieu. Les événements politiques modifient ses
plans. […]
56
[…] Après sept mois d’un séjour autrichien au cours duquel il a
beaucoup composé mais peu joué en public, Frédéric se dirige directement sur
Paris où, il le sait, l’opinion défend ardemment la cause polonaise. Les
voyages sont longs en diligence et entrecoupés d’étapes. Il atteint la capitale
en septembre 1831.
La suite est plus connue. Un
succès presque immédiat, sa rencontre avec George Sand qui l’introduit dans les
meilleurs milieux, leur passion enflammée, la tuberculose qui le ronge et son
décès à Paris en 1849 […], sans avoir revu la Pologne.
Est-ce à dire qu’il avait tourné
la page, oublié le pays natal ? Certes pas. […] S’il ne fait plus de
politique au sens strict du terme, il témoigne d’un attachement fidèle à la
cause nationale polonaise. De loin. En artiste.
Au 6, quai d’Orléans, on peut
visiter le Salon Chopin. Y sont conservés son masque mortuaire et le moulage de
sa
57
main effectués par Auguste
Clésinger le lendemain du décès, des meubles lui ayant appartenu, ainsi que des
lettres manuscrites et des partitions.
Pourtant Frédéric ne s’est pas
enfermé dans le milieu immigré. Si nous mesurons le temps passé avec des
Polonais et avec des Français, le déséquilibre s’accentue. Reconnu
internationalement, il se lie avec d’autres artistes européens dont la
nationalité lui importe moins que le goût du romantisme et la qualité de
l’inspiration. Il fréquent des écrivains français, Sand bien sûr, Alfred de
Vigny, Théophile Gautier, des compositeurs français comme Hector Berlioz, et
allemands, tel Robert Schumann avec qui il ressent beaucoup d’affinités, le
fabricant Camille Pleyel, des peintres, notamment Eugène Delacroix qu’il invite
à Nohant, chez George Sand. C’est d’ailleurs Delacroix qui a réalisé le plus
célèbre des portraits de Frédéric Chopin. [Fin de la sous-partie sur Chopin ;
la suivante est consacrée au cimetière de Montmorency] »
Commentaires et remarques
Je laisse de côté tout ce qui concerne la problématique
« Français ou Polonais ? » qui n’apporte pas grand-chose, mais
dont l’auteur se sort sans trop de dégâts.
En revanche, les développements proprement biographiques
contiennent des éléments discutables, voire erronés.
Page 54
*« Il existe un lien entre
Stanislas Leszczynski et Chopin. Sans le premier, le second n’aurait pu voir le
jour. […] Le relais entre les deux hommes se nomme Nicolas Chopin, [… entré]
très jeune au service de Jan Adam Weydlich. Weydlich était venu de Pologne pour
administrer les biens d’un noble polonais de l’entourage de Stanislas. »
Cette assertion est difficilement compréhensible, dans la
mesure où les notices du Narodowy
Instytut Fryderyka Chopina fournissent tous les éléments sur Jan Adam
Weydlich (page Adam
Weydlich), présent en France en relation avec l'épidsode de la Confédération de Bar, de
même que le « noble polonais » au service de qui il était à
Marainville, Michel Pac (page Michał
Jan Pac).
Ces deux Polonais ont certes été liés à la Lorraine, mais
seulement à partir de 1780, sans relation avec Stanislas Leszczynski, par
hasard en fait, sans doute parce que la famille Pac s’était installée à
Strasbourg.
*« Le patronyme n’a
évidemment rien de polonais et fut parfois orthographié "Szopen" »
On trouve aussi la
graphie Szopę, décliné Szopena,
etc. (voir la page Chopin
dans la presse polonaise, de 1818 à 1830).
Page 55
*« le prénom, écrit Fryderyk
sur l’acte de baptême, est celui de son parrain, Fryderyk Skarbek »
L’acte de baptême de Frédéric Chopin étant en latin, son
prénom y est libellé « Fridericus » (précisément :
« Fridericum », à l’accusatif) ; c’est dans l’acte de naissance,
en polonais, qu’on trouve la graphie « Fryderyk » (voir les pages L’acte
de baptême de Frédéric Chopin et L’acte
de naissance Frédéric Chopin).
Par ailleurs, Frédéric Skarbek, n'étant pas nommé dans l'acte de baptême, n'est pas formellement le parrain de Frédéric Chopin.
Par ailleurs, Frédéric Skarbek, n'étant pas nommé dans l'acte de baptême, n'est pas formellement le parrain de Frédéric Chopin.
*« [Nicolas Chopin] d’abord
employé comme précepteur dans une famille aisée de Zelazowa Wola »
Raccourci assez audacieux : Nicolas Chopin, arrivé en
Pologne en 1788, devient précepteur à Zelazowa Wola en 1802 seulement (voir la
page Nicolas
Chopin de 1787 à 1802).
Curieusement, l’auteur ne semble pas identifier cette « famille aisée » comme celle de Frédéric Skarbek, cité juste avant.
Curieusement, l’auteur ne semble pas identifier cette « famille aisée » comme celle de Frédéric Skarbek, cité juste avant.
*« En 1830, déjà célèbre en
Pologne, Fryderyk quitte les siens, pour deux ou trois ans, pense-t-il, poussé
par la nécessité d’une tournée européenne destinée à le faire connaître.[…] Ce
périple, il le retarde de mois en mois, saisi de crainte à l’idée de plonger
dans l’inconnu. Finalement, il
l’entreprend au mois d’octobre. » Voir aussi « sept mois à
Vienne » (p. 53).
Janine Ponty simplifie de nouveau à l’excès : elle omet
le séjour à Vienne en 1829 (en 1830, Chopin ne va donc pas « plonger dans
l’inconnu »). En revanche, elle marque bien qu’il ne s’agit pas d’un
projet de départ définitif.
Le départ a lieu, non pas en octobre, mais le 2
novembre ; Frédéric Chopin arrive à Vienne le 23 novembre et en repart le
20 juillet 1831 (voir page Domiciles, voyages et séjours de Chopin, avec indication des références
pour ces dates). Son séjour à Vienne a donc duré huit mois et non sept.
Quelle conclusion tirer de tout cela ? Que Janine Ponty
n’a pas suffisamment étudié la biographie de Chopin. Dommage.
Création : 29 avril 2015
Mise à jour :
Révision : 8 juillet 2017
Auteur
: Jacques Richard
Blog :
Sur Frédéric Chopin Questions historiques et biographiques
Page : 193 Janine Ponty 2 : erreurs et approximations à propos de Chopin
Lien : http://surfredericchopin.blogspot.fr/2015/04/janine-ponty-2-propos-de-chopin.html
Lien : http://surfredericchopin.blogspot.fr/2015/04/janine-ponty-2-propos-de-chopin.html
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire