Quelques informations sur le livre de Janine Ponty, Les
Polonais en France De Louis XV à nos jours (2008) : quelques points discutables dans le domaine historique
Classement : histoire des relations
franco-polonaises
Ceci est la suite des pages
*A propos du livre de Janine Ponty (2) Les Polonais en France (2008), où on trouvera la table des matières de l’ouvrage
*Janine Ponty 2 : à propos de Frédéric Chopin, où j’indique quelques erreurs ou approximations à propos du compositeur.
*A propos du livre de Janine Ponty (2) Les Polonais en France (2008), où on trouvera la table des matières de l’ouvrage
*Janine Ponty 2 : à propos de Frédéric Chopin, où j’indique quelques erreurs ou approximations à propos du compositeur.
J’en viens maintenant aux énoncés concernant l’histoire de
la Pologne.
Page 40 : le nom du royaume de Pologne
« [Lors
du congrès de Vienne], le tsar se taille la part du lion avec le « Royaume
de Pologne » ou « Royaume du Congrès », ainsi nommé en référence
au fameux congrès de Vienne. »
L’utilisation de la
dénomination « royaume du Congrès » comme équivalent de
« royaume de Pologne » ne paraît pas appropriée.
Dans la pratique administrative
et politique du royaume et dans l’usage des diplomates, la dénomination est
« royaume de Pologne » (Królestwo
polskie), comme l’indique Nicolas 1er lui-même en 1832 (voir la page Le statut organique du royaume de Pologne) :
« My, [...], przepisaliśmy i postanowiliśmy przez
osobny w dniu dzisieyszym, nayłaskawiéy nadany Statut Organiczny wprowadzić
w Nasze Królestwo Polskie nowy kształt i porządek Rządu » (« Nous
avons résolu et ordonné […] par un Statut Organique publié ce jour,
d'introduire dans Notre Royaume de Pologne une nouvelle forme et un
nouvel ordre de Gouvernement »).
La formule « royaume
du Congrès » semble avoir été utilisée à des fins pédagogiques, lorsqu’il parait
nécessaire de différencier le royaume d’après 1815 du royaume d’avant 1795.
C’est ainsi qu’un ouvrage publié en 1923 est intitulé Prawo cywilne obowiązujące na obszarze B.
Kongresowego Królestwa Polskiego [Droit civil en vigueur sur le territoire
de l’ex-Royaume de Pologne du Congrès] (voir la page Le
devenir du code civil polonais de 1825). Dans ce cas (Kongresowe Królestwo Polskie), « du congrès » (Kongresowe) ne qualifie pas « royaume » (Królestwo) mais « royaume de Pologne » (Królestwo Polskie),
qui reste donc l’élément essentiel.
Page 79 : Pays de la Vistule
« L’oppression
tsariste monte encore d’un cran après l’assassinat d’Alexandre II en 1881 et
l’avènement de son fils l’implacable Alexandre III, qui entreprend la
russification des peuples de son Empire. Plus de « royaume de
Pologne » qui n’était, il est vrai, qu’un vain mot, mais des « Pays
de la Vistule » où toutes traces de culture polonaise, ukrainienne ou
juive doivent disparaître, si nécessaire par la force. »
Il semble que la dénomination
de « Pays de la Vistule » apparaisse effectivement dans les années
1880, bien après les réformes (des années 1860) qui ont réduit à peu de chose
le royaume de Pologne ; cependant, formellement, cela n'abolit pas la dénomination
« royaume de Pologne ».
Page 40 : catholicisme vs orthodoxie ?
« Ainsi
Varsovie passe-t-elle des mains prussiennes […] à celles des Russes, après le
bref épisode du duché napoléonien. En tant que capitale dudit
« Royaume », elle subit l’affront suprême : le tsar Alexandre 1er
s’en déclare le roi, un roi orthodoxe sur cette terre catholique. Et au cours
du siècle, s’élèvera une cathédrale orthodoxe sur une des plus grandes places
de la ville, la place de Saxe. »
Ce passage est un peu marqué
par l’idéologie du « choc des civilisations », et laisse loin derrière
le souci d’historicité.
Il ne semble pas que
l’avènement d’Alexandre en 1815 ait été perçu comme celui d’un
« orthodoxe » sur un Etat « catholique » ; en tout cas,
cela n’est pas signalé de façon évidente par les ouvrages historiques. Il
s’agit plutôt de l’avènement du vainqueur de Napoléon, avec l’appui ou la
neutralité d’une large part de la classe dirigeante polonaise de l’époque (adversaires ou partisans de Napoléon). Même
l’hostilité de « l’opinion publique » polonaise à l’encontre de son
successeur Nicolas 1er n’a pas de dimension religieuse
marquée : les problèmes sont politiques (censure, répression, et surtout,
projets de répression contre la France ou la Belgique en 1830). Il est certain
en revanche que la répression postérieure à l’insurrection de 1830-1831 inclut
des mesures de rétorsion contre l’Eglise catholique.
Pour ce qui est de la
« cathédrale orthodoxe » de la place de Saxe, il s’agit de la cathédrale
Alexandre Nevski, construite à partir de 1894 et consacrée en 1912. On est
donc loin des années de la création du royaume de Pologne (du Congrès). Du
reste, d’autres églises orthodoxes ont été construites à Varsovie, beaucoup à
la fin du XIXème siècle aussi, la plupart (sauf deux), dont Alexandre Nevski, ayant
été détruites dans les années 1920.
Page 40 : le régime représentatif dans le royaume
de Pologne
« Le
glissement vers l’absolutisme impérial se fait en douceur. De 1815 à 1820
subsistent une Diète et un Sénat ; cent mille Polonais possèdent le droit
de votre, plus nombreux que les électeurs français sous Louis XVIII, pour une
population six fois moindre. »
Le libellé est trompeur, dans la mesure où ces institutions ont duré jusqu’en 1831 et ont été
abolis seulement en 1832, ce qui, du reste, est signalé page 42 (infra).
Page 42 : la répression de 1832
« Les
Polonais perdent leur autonomie relative : un statut organique remplace la
Constitution. Plus de Diète ni d’armée. L’université de Varsovie doit fermer
ses portes. La langue russe devient obligatoire dans les lycées et les
tribunaux »
En ce qui concerne « les
lycées », le royaume de Pologne ne comptait qu’un lycée public, le lycée
de Varsovie, fermé lui aussi en 1832 ; les établissements secondaires
créés par la suite sont effectivement russifiés, au moins en partie.
Quant aux tribunaux, la
russification n’a probablement pas lieu dès les années 1830, mais ce point est
à préciser (page à venir).
Page 63 : les Polonais exilés en France
« [En
France], mises à part les enquêtes ponctuelles effectuées à des dates clés,
comme celle de décembre 1833, les Polonais semblent inexistants au regard de
l’administration française qui ne prend en compte que l’appartenance à un Etat
souverain. »
Cette assertion est un peu
abrupte.
Dans son livre Un asile pour tous les peuples ? Exilés et
réfugiés étrangers en France au cours du premier XIX° siècle (Paris, Armand
Colin, coll. « Recherches », 2014), Delphine
Diaz, évoquant le contrôle bureaucratique (routinier) des étrangers par la
police sous la monarchie de Juillet, indique que : « Produits
quasi quotidiennement par la préfecture de police […], les Bulletins de Paris témoignent de la stricte surveillance des
étrangers logés dans les garnis. […] La catégorie des « étrangers »
n’y est pas encore très affinée : ils y sont présentés selon leur
appartenance à une nationalité, ou plutôt à une aire géographique, comme le
suggère le Bulletin du 22 décembre
1838 qui fait mention des « Polonais » ou des « Italiens […] de
toutes espèces » (page 38).
L’idée que sous la monarchie de Juillet, les
« Polonais » ne seraient pas reconnus comme tels parait un peu
baroque, étant donné la place qu’ils ont tenu dans l’actualité politique, au
moins des années 1830.
Page 63 : les
Polonais dans les recensements français
« Les
recensements généraux de la population […] introduisent à partir de 1851 une
rubrique « Nationalité » […] : nous y chercherions en vain des
Polonais. Ils viennent grossir le lot de ressortissants autrichiens, allemands
ou russes, selon la zone de partage dont ils sont originaires. »
Il est exact que le
recensement de 1851 est le premier à prendre en compte la nationalité de
l’intéressé, mais cette rubrique, laissée de côté sous le Second Empire, ne
réapparaît qu’en 1872 et 1876, puis à partir de 1886. Le recensement de 1851
comporte par ailleurs une question sur la religion de l’intéressé, qui
n’apparaît plus par la suite.
A noter que dans son livre Immigration, antisémitisme et racisme en
France (XIX°-XX°) Discours publics, humiliations privées (Paris, Fayard,
2007 ; Pluriel, 2010), Gérard Noiriel écrit : « A partir du recensement
de 1876, les questions sur la religion disparaissent ; c’est le lieu de
naissance qui prime pour déterminer la nationalité, et non plus la déclaration
faite par les individus. On constate ainsi que le terme « polonais »
est remplacé par « sujet russe ». Dès le début de la III° République,
l’appartenance à l’Etat est devenue, en effet, le seul critère permettant de
définir la nationalité. » (Pluriel, page 202).
Ce passage n’est pas très clair (je ne vois pas le rapport
entre « religion » et « nationalité »), mais sur la
question de la mention « polonais », il est en contradiction avec ce
qu’écrit Janine Ponty du recensement de 1851.
Création : 22 mai
2015
Mise à jour :
Révision : 7 juillet 2017
Auteur
: Jacques Richard
Blog :
Sur Frédéric Chopin Questions historiques et biographiques
Page : 196 Janine Ponty 2 : quelques points discutables
Lien : http://surfredericchopin.blogspot.fr/2015/05/ponty-2-points-discuter.html
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