Quelques informations sur le livre Pologne
L’insurrection de 1830-1831 : la contribution de Hans Henning Hahn sur
les débuts politiques du prince Czartoryski
Classement : histoire de la Pologne ; relations
franco-polonaises
Ceci est la suite de la page Daniel
Beauvois : L'insurrection de 1830-1831, dans laquelle je présente cet
ouvrage, recueil des contributions au colloque organisé les 14 et 15 mai 1981
par le Centre d’étude de la culture polonaise de l’Université de Lille III
« La réception européenne de l’insurrection polonaise de 1830-1831 et des
débuts de la Grande Emigration ».
J’étudie ici la contribution numéro 9 :
*Hans-Henning Hahn, « Les débuts politiques du prince
Adam Jerzy Czartoryski dans l’émigration (1832) », (pp. 160-169, notes et
discussion pp. 170-177)
L'auteur
Hans-Henning Hahn (né en 1947), alors professeur à
l’université de Cologne (depuis 1992 à l’université d’Oldenbourg), est
l’auteur d’une thèse sur Adam Czartoryski :
*Außenpolitik in der
Emigration. Die Exildiplomatie Adam Jerzy Czartoryskis 1830–1840,
Munich-Vienne, 1978
On peut aussi signaler :
*« Die Organisationen der polnischen « Grossen
Emigration » 1831-1847 », dans Nationale
Bewegung und soziale Organisation I Vergleichende Studien zur nationalen
Vereinsbewegung des 19. Jahrhunderts in Europa, Munich-Vienne, 1978, pp.
131-279.
Notice de la Wikipédia allemande.
Notice de la Wikipédia allemande.
Vue d’ensemble
L’auteur évoque d’abord les problématiques de son article,
puis donne des éléments concernant le trajet de Czartoryski de Varsovie (15
août 1831) à Londres (22 décembre) via la France où il établit sa famille.
Le fait que Czartoryski s'installe d’abord à Londres
indique qu’il donne le primat à la « politique extérieure », faisant
tous les efforts pour que la situation du royaume de Pologne soit traitée, au
moins par la France et le Royaume-Uni, comme un problème international, et ne soit pas laissée à la seule appréciation de la Russie. Il s’efforce d’agir sur les
gouvernements des deux pays soit directement, soit par l’intermédiaire des
parlementaires et de l’opinion publique (presse, « amis de la
Pologne »). Cette politique se fonde sur la perspective que tôt ou tard une guerre
éclatera en Europe, et que la cause polonaise pourra en tirer des
avantages.
Hahn étudie ensuite les moyens utilisés par Czartoryski dans ce domaine : ses très vastes relations personnelles ; ses contacts systématiques avec les ministres, ainsi qu'avec les hauts fonctionnaires des ministères essentiels ; les avantages administratifs obtenus dès 1832 (notamment en matière de déplacements).
Hahn étudie ensuite les moyens utilisés par Czartoryski dans ce domaine : ses très vastes relations personnelles ; ses contacts systématiques avec les ministres, ainsi qu'avec les hauts fonctionnaires des ministères essentiels ; les avantages administratifs obtenus dès 1832 (notamment en matière de déplacements).
En revanche, en ce qui concerne les relations entre l’émigration et la
Pologne, l’action de Czartoryski est en retrait par rapport à celle
des organisations démocratiques ; sa principale opération est en 1833 la mission
Swirski , un échec complet.
De même, Czartoryski et ses amis sont nettement surclassés
en ce qui concerne les questions politico-idéologiques (quelle
constitution ? quelle société ? pour la Pologne) et pratique (quelle
organisation de l’émigration ?)
Dans une perspective à la fois « intérieure » et
« extérieure », Czartoryski a tenté auprès de plusieurs gouvernements
de constituer des « Légions polonaises » (en vain). D’autre part il a
joué un rôle notable en ce qui concerne la question de l’unification de
l’émigration polonaise, qu’il a finalement empêchée (début 1833) parce qu'il n’y était pas reconnu comme leader, ouvrant la voie à la constitution de
partis (la SDP et le camp monarchiste).
Citations
Page 159
« Depuis la politique
intérieure jusqu’aux affaires militaires et à la propagande, en passant par les
affaires sociales et culturelles, cette action embrassa tous les domaines de
l’activité politique, sans jamais toutefois remettre en question la place
prépondérante accordée à la politique extérieure. »
Page 160 : les
débuts de l’exil
Czartoryski « quitte
Varsovie le 15 août 1831 pour atteindre la république de Cracovie* le 26
septembre. Dès le lendemain, fuyant devant les troupes russes qui font leur
entrée dans Cracovie, il doit se déguiser pour parvenir à gagner la ville de
Podgorze* en Galicie autrichienne. Muni d’un passeport autrichien au nom de
Georg Hoffmann, il continue son voyage à travers la Moravie* et atteint la Saxe*
le 16 octobre. Un mois plus tard, le 14 novembre, il est à Strasbourg. Début
décembre, il retrouve sa famille à Mannheim, et de là, gagne la France. C’est à
Soissons qu’il rencontre la Mission Polonaise à Paris* […] et, laissant sa
famille en France, il poursuit son voyage jusqu’à Londres, où il arrive le 22
décembre 1831. »
Notes
*république de
Cracovie : Etat doté d'une certaine autonomie, créé lors du traité de Vienne à partir du territoire du duché de Varsovie et placé sous tutelle des trois puissances de la Sainte Alliance ; annexé par l'Autriche en 1846
*Podgorze :
ville située à 2 km au sud-est de Cracovie, de l’autre côté de la Vistule
*Moravie :
partie Est du royaume de Bohême
*Saxe : royaume
de Saxe (capitale / Dresde)
*Mission Polonaise à
Paris : nom de la représentation à Paris du gouvernement insurrectionnel de 1830-1831 (dirigée par Charles Kniaziewicz et Louis Plater)
Page 160 : un
politicien en exil
« Il ne sera […] pas
uniquement un émigrant politique, c'est-à-dire un homme contraint de quitter sa
patrie pour des raisons politiques, mais deviendra […] un politicien en exil,
c'est-à-dire un émigré qui, en exil […] continuera d’être actif
politiquement. »
Page 160-161 :
séjour initial à Londres
« Au lieu d’aller à Paris,
pôle d’attraction de la grande majorité des émigrés polonais et arène de
combats acharnés autour /// de l’orientation idéologique et de l’organisation
de l’émigration polonaise, Czartoryski se rend à Londres. Cette première
décision montre clairement que pour lui, la politique polonaise en exil
signifie d’abord politique extérieure. […] Pourquoi Londres ? Certes, il y
a été invité par Talleyrand* : Mais ce qui compte pour lui, c’est surtout
l’opinion – fondée – que Londres est alors le centre de la politique internationale.
[…] Dans son invitation, Talleyrand a recommandé à Czartoryski de mettre à
profit son passé politique et surtout sa participation au Congrès de Vienne*,
au cours duquel le statut de la Pologne* avait été fixé en termes de droit
international. Ainsi s’explique que l’émigré Czartoryski fasse d’une
argumentation fondée sur le droit international le point de départ de sa
politique. »
Notes
*Talleyrand :
Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord (1754-1838), ambassadeur de France à
Londres de septembre 1830 à novembre 1834
*Congrès de Vienne :
réuni à partir de novembre 1814 et signé en juin 1815.
Page 161 : les
arguments de Czartoryski
« La démarche qui sous-tend
cette argumentation légaliste peut se résumer à l’analyse suivante : les
Puissances copartageantes*, et au premier chef la Russie, n’ont pas respecté
les dispositions relatives à ce pays figurant dans l’Acte du Congrès de Vienne.
Or les puissances de l’Europe occidentale qui ont signé ce document ont le
droit et le devoir de veiller au respect des droits qui y sont garantis à la
nation polonaise*. Comme la situation polonaise actuelle résulte d’une violation
flagrante du droit international*, il est du devoir de l’Angleterre et de la
France d’intervenir pour mettre fin à cette violation. […] si les responsables
politiques britanniques (et encore moins les français !) n’iront jamais
jusqu'à reconnaître pour leur pays l’obligation d’une intervention en faveur de
la Pologne, ils n’en accueilleront pas moins avec intérêt les arguments de
Czartoryski pour faire valoir qu’en tant que signataires des traités de Vienne,
l’Angleterre et la France possèdent le droit de participer au consultations et
aux décisions concernant les affaires polonaises. Palmerston* formule cette
option d’une manière frappante dans un discours à la Chambre des Communes du 28
juin 1832 :
No man could entertain
a doubt that Great Britain possessed a full right to express a decided opinion upon the
performance or non-performance of the stipulation contained in that treaty.
Nevertheless, it could not be denied that England lay under no peculiar obligation, individually, and independently of
the other contracting parties, to adopt measures of direct interference by
force. »
Traduction
Personne ne pouvait douter que la Grande-Bretagne n'eût le plein droit d'exprimer une opinion tranchée à propos de la réalisation ou de la non réalisation de la stipulation contenue dans ce traité. Néanmoins, il était indéniable que l'Angleterre n'avait aucune obligation spécifique, individuellement, indépendamment des autres parties contractantes, d'adopter des mesures d'intervention directe de ses forces.
Traduction
Personne ne pouvait douter que la Grande-Bretagne n'eût le plein droit d'exprimer une opinion tranchée à propos de la réalisation ou de la non réalisation de la stipulation contenue dans ce traité. Néanmoins, il était indéniable que l'Angleterre n'avait aucune obligation spécifique, individuellement, indépendamment des autres parties contractantes, d'adopter des mesures d'intervention directe de ses forces.
Notes
*Puissances
copartageantes : la Russie, la Prusse et l’Autriche, entre lesquelles
les territoires de l’ancienne Pologne ont été répartis à partir de 1772
*droits ... garantis à la nation polonaise : voir la page Le Congrès de Vienne et la Pologne
*droits ... garantis à la nation polonaise : voir la page Le Congrès de Vienne et la Pologne
*violation flagrante
du droit international : l’article 1 du traité de Vienne établit
certains principes concernant les territoires de l’ancienne Pologne « les Polonais, sujets respectifs de la Russie, de
l'Autriche et de la Prusse, obtiendront une représentation et des institutions
nationales, réglées d'après le mode d'existence politique que chacun des
Gouvernements auxquels ils appartiennent jugera utile et convenable de leur
accorder. » et ceux de l’ex-duché de Varsovie : « Le Duché de Varsovie, [sauf tel et tel territoire], est réuni à
l'Empire de Russie. Il y sera lié irrévocablement par sa constitution, pour
être possédé par S. M. l'Empereur de toutes les Russies, ses héritiers et ses
successeurs à perpétuité. S. M. I. se réserve, de donner à cet État, jouissant
d'une administration distincte, l'extension intérieure qu'elle jugera
convenable. Elle prendra, avec ses autres titres, celui de Czar, Roi de
Pologne, conformément au protocole usité et consacré pour les titres attachés à
ses autres possessions. » ; ces principes sont assez flous
pour que la « violation » ne soit pas absolument
« flagrante » (par exemple, le traité ne dit pas que le royaume de
Pologne doit avoir une constitution libérale, une armée autonome, une
université, etc.) ; en revanche il est probable qu’il y a eu violation de
l’esprit dans lequel cet article a été rédigé.
*Palmerston :
Lord Palmerston (Henry John Temple, vicomte Palmerston), 1784-1865 ; à l’époque, Secrétaire aux Affaires étrangères
Page 162 : les
résultats
« […] cette stratégie de
Czartoryski a pour effet d’empêcher les puissances occidentales de reconnaître
de jure la situation présente du royaume de Pologne. Londres et Paris reprendront
à leur compte la plus grande partie de l’interprétation polonaise des traités
de Vienne et resteront fidèles à cette argumentation pendant plusieurs décades [décennies],
jusqu'au soulèvement de janvier 1863.
Ceci ne changera pratiquement
rien au destin de la Pologne, mais Czartoryski ne s’est jamais fait d’illusions
à ce sujet. le résultats de ses démarches sera toutefois que la Pologne restera
à l’ordre du jour des débats dans les relations internationales et que les
puissances occidentales exprimeront leur volonté d’être consultées dans les
questions polonaises.
Ce succès partiel et relativement
modeste doit être replacé dans le cadre où il est obtenu, à savoir une époque
où, initialement, les gouvernements anglais et français, après le règlement de
la crise belge*, auraient préféré clore le dossier polonais.
Si l’ « affaire
polonaise » n’est pas évacuée totalement des préoccupations de la
diplomatie internationale, c’est […] à Czartoryski qu’en revient le mérite. Il
y contribue de façon décisive, aussi bien par son argumentation légaliste que
par ses nombreux mémoires rappelant aux puissances occidentales qu’il y va de
leur propre intérêt bien compris de ne pas entériner l’état de fait créé en
Pologne après la répression de l’insurrection. Pour atteindre ce résultat,
Czartoryski s’attache par ailleurs à mobiliser l’opinion publique […] à
l’aide de diverses publications [puis] il suscite, le 25 février 1832,
la création de la « Literary
Association of the Friends of Poland », dont l’action en matière de
propagande propolonaise en Angleterre s’exercera efficacement pendant plusieurs
décades. Deux mois plus tard, le 29 avril 1832, il fonde à Paris la Société
Littéraire Polonaise […] (9).
(9) Tandis que l’association
britannique ne se composait que d’Anglais – réservant aux émigrés polonais le
rôle d’employés salariés –, la Société parisienne comprenait presque
exclusivement des Polonais. »
Notes
*le règlement de la crise belge : l'acceptation par la Hollande (et par les puissances de la Sainte Alliance) de l'indépendance de la Belgique
Notes
*le règlement de la crise belge : l'acceptation par la Hollande (et par les puissances de la Sainte Alliance) de l'indépendance de la Belgique
Pages 162-163 : actions auprès des parlements britannique et français
« On peut voir dans les
motions propolonaises déposées aux Communes britanniques – on en relève trois
dans la seule année 1832 (10 : 18/4, 28/6, 7/8) –, une autre facette du
travail de propagande. A Paris aussi, Czartoryski fait porter ses efforts dans
ce sens : c’est ainsi que, sur ses instances, le député Bignon* fera
adopter une clause propolonaise par la Chambre des députés lors de la Réponse
au Discours du Trône, en décembre 1832. ///
[…] les parlements ne sont qu’un
relais dans l’action de propagande. L’objectif recherché se trouve ailleurs. Il
s’agit « par le biais de la formation de l’opinion parlementaire dans les
deux pays, de contraindre leurs gouvernements respectifs à prendre
officiellement position sur la question polonaise, ce qui, devant le monde
entier, a valeur d’engagement formel de la France et de l’Angleterre en faveur
de la Pologne. » (12 : Marceli Handelsman, Adam Czartoryski, Varsovie, Kieniewicz, 1948-1950, II, p. 55
ssqs »
Notes
*Bignon : Louis Edouard Bignon (1771-1841) : diplomate et homme politique ; représentant de la France à Varsovie de 1810 à 1812 ; député de 1815 à 1823 et de 1827 à 1837, siégeant dans les rangs de la gauche puis du centre-gauche ; membre du Comité central en faveur des Polonais (1831) [ne pas confondre avec François Bignon (1789-1863), député à partir de 1834]
Page 163
« Cette stratégie leur
[« Czartoryski et ses collaborateurs »] vaut pourtant nombre de
critiques de la part des démocrates polonais : ils reprochent à
Czartoryski de ne pas croire à la solidarité des peuples, mais de miser plutôt
sur les gouvernements. Cette prétendue « confiance » témoignée aux
gouvernements reste pourtant bien étrangère au réaliste qu’est Czartoryski. […]
Il ne croit pas que les gouvernements anglais et français pourraient de leur propre
initiative embrasser la cause de la Pologne. En revanche, il est convaincu que,
compte tenu des nombreux sujets de conflits, la dynamique des relations
internationales débouchera dans un avenir proche sur une grande guerre […] Il
veut tout préparer pour qu’une belle guerre apporte à la Pologne un résultat
positif. »
Page 164 : relations avec les ministres, leurs conseillers et les hauts fonctionnaires
« Dès ses premières années
d’exil, il prend grand soin d’établir des contacts étroits et suivis avec les
ministères, auxquels il adresse régulièrement mémorandums et pièces à
conviction permettant d’étayer son dossier ; il veille également à ce que
de tels contacts s’établissent avec ses collaborateurs les plus proches. Par
ailleurs, il les étend, au-delà de la personne du ministre, à tous les hauts
fonctionnaires. Grâce à eux, il pourra recueillir à leur source des
informations fiables sur l’état des relations internationales et n’en sera pas
réduit à fonder ses analyses sur des articles de presse et des échos de
salon. »
Page 164 : privilèges
administratifs
« Très tôt, au début de
l’année 1832, on accorde à Czartoryski deux privilèges extraordinaires pour
l’époque : d’abord, l’usage du courrier diplomatique (14 : Dès
janvier 1832, des lettres portent la mention : « Par le courrier
français ») ; ensuite, afin de faciliter ses déplacements – et ceux
de ses partisans – la possibilité de se faire établir des passeports sur simple
demande au ministère des Affaires Etrangères. »
Page 164 : relations avec la presse et les parlementaires
« En familiers des processus de décision politique et
des facteurs influençant les choix des pays dotés de régimes constitutionnels,
Czartoryski et ses collaborateurs déploieront des efforts du même ordre pour
établir de bons contacts avec des parlementaires et des journalistes. Ils
utiliseront très tôt le moyen de la campagne de presse et celui de la motion parlementaire,
c'est-à-dire de l’organisation d’un débat sur les problèmes polonais. Ainsi se
constituent très vite, aussi bien à Londres qu’à Paris, des réseaux d’amis de
la Pologne qui, pendant des années, coopéreront avec l’Hôtel Lambert* et en
seront les ambassadeurs devant les parlements et l’opinion publique. »
Notes
*l’Hôtel Lambert :
formule désignant par métonymie le groupe des Polonais qui reconnaissent
Czartoryski comme leader ; mais Czartoryski n’acquiert cet hôtel qu’en
1843, résidant, après son séjour à Londres de 1832 à 1834, avenue du Faubourg du
Roule
Page 164-165 : action en Pologne
« Quant au second volet de
la politique en exil, à savoir les relations avec la patrie et la préparation
d’une éventuelle insurrection, /// il faut convenir qu’il fut plutôt négligé
par Czartoryski et ses collaborateurs.
En dehors d’une correspondance
avec des parents restés en Pologne et de quelques efforts pour transférer des
capitaux à l’étranger, on ne relève ici que fort peu de travail politique […par
rapport à] Lelewel* et [au] général Dwernicki*. La première tentative sérieuse
[…de Czartoryski] est la mission Swirski* en Galicie, en […] 1833. Elle
échouera […], parce que l’envoyé de Czartoryski ne parvient pas à s’imposer
comme interlocuteur valable face aux émissaires […] de Lelewel, de Zaliwski* et
de Dwernicki. La patrie restera pour de longues années le fief exclusif des
organisations démocratiques d’émigrés et l’Hôtel Lambert ne rattrapera jamais
entièrement le retard accumulé à l’origine dans ce domaine. »
Notes
*Lelewel :
Joachim Lelewel (1786-1861), historien et homme politique polonais, un des
fondateurs en 1831 du Comité national polonais
*Dwernicki : Joseph Dwernicki (Józef Dwernicki, 1779-1857), militaire polonais
(général), exilé à partir de 1831, fondateur du Comité national de l’émigration
polonaise
*Swirski : Joseph
Swirski (Józef Świrski, 1784-1854), homme politique ; proche d’Adam Czartoryski ; ministre de l’Intérieur à la fin du gouvernement national insurrectionnel en 1831 ; un des
« contumaces condamnés à avoir la tête tranchée » listés le 1°
juillet 1833 (cf. page Joseph
Bem 2 La répression en Pologne (listes de condamnés))
*Zaliwski : Joseph
Zaliwski (Józef Zaliwski, 1797-1855),
officier de l’armée du royaume de Pologne ; un des participants de la
conspiration de novembre 1830 ; en mars 1833, il organise à partir de la
France une expédition qui échoue en Galicie ; prisonnier des Autrichiens ; condamné à 20 ans de prison ; libéré en 1848 ; revient alors
en France et participe à la Société démocratique polonaise.
Page 165
« Si l’on se réfère à
l’étonnante diversité des tentatives de la gauche visant à définir des formes
d’organisation de la vie politique en exil et aux discussion idéologiques
animées […] de l’émigration, les politiciens du futur Hôtel Lambert* font
piètre impression. Ils s’occupent fort peu d’organiser leur propre camp et de formuler
des orientations idéologiques précises. C’est même un point important du
programme du camp libéral-conservateur que de ne pas discuter les questions
idéologiques. Le slogan Pierwej być, a potem radzić’ jak być « D’abord être, se demander ensuite comment »,
est au fond l’expression d’un déficit idéologique qui ne pourra pas être comblé
par le recours à l’ « homme providentiel ». L’Hôtel Lambert ne se
résoudra que beaucoup plus tard à prendre position sur des questions aussi
importantes que la future constitution de l’état polonais, les réformes
sociales, le problème agraire, le rôle de la Szlachta* et de la bourgeoisie et
enfin […] les moyens de susciter le soulèvement national. […] Ce n’est qu’à
partir de la courte collaboration avec le journaliste politique Maurycy
Mochnacki* en 1834 et de l’épisode connu sous le nom d’akcja elekcyjna
(Election) en 1837*, que le camp monarchiste de l’émigration polonaise prendra
la coloration politique qui le caractérisera dorénavant. »
Notes
*futur Hôtel Lambert :
on note la formule (alambiquée), qui signale avec retard le fait que l’achat de l’hôtel
Lambert est d’une époque plus tardive
*Szlachta :
la noblesse polonaise, relativement nombreuse, présente à tous les niveaux de
richesse
*Maurycy Mochnacki
(1803-1834)
*akcja elekcyjna
(Election) en 1837 : ???
Page 166
« Au plan intérieur, une
autre tâche difficile attend l’Hôtel Lambert, à savoir la création d’une
véritable organisation politique. En 1832, il s’y attelle en fondant deux
associations culturelles (16). Le Związek jednosci narodowy* (Ligue d’unité nationale) voit le jour en premier, le 21
janvier 1833. Comme c’est une société secrète, elle ne représente du point de
vue de l’organisation aucune différence avec les institutions correspondantes
mises en place par les autres tendances de l’émigration. En fait, c’est l’échec
pour les partisans de Czartoryski. Leur association ne constituera à aucun
instant une alternative valable aux organisations de gauche qui se développent
rapidement. Il faudra […] une longue période d’apprentissage des techniques
modernes de propagande et de recrutement de membres, pour parvenir à la
formation d’un véritable parti, et ainsi, à une organisation efficace des
partisans. Ce parti conservera toujours […] certaines caractéristiques de la
société secrète (17).
(16) Le 29 avril 1832 : Towarzystwo Literackie (Société
Littéraire) et le 29 décembre 1832 : Towarzystwo
Naukowej Pomocy (Société pour l’Aide Scientifique), toutes deux à Paris
(17) Concernant la structure
interne de l’hôtel Lambert et les différentes associations – secrètes ou non –,
se reporter au travail de Hanna Lutzowa, Oboz
3go maja, thèse, Varsovie, 1971 »
Notes
Notes
*Związek jednosci narodowy : littéralement Ligue nationale de l'unité
Page 166
« Les premières années de
l’émigration sont jalonnées de tentatives d’unifier ses différentes tendances
et de créer un organe central qui les représente toutes. Une source
contemporaine dénombre 31 tentatives dans ce sens, dont 6 eurent un
commencement de réalisation […] Sur cette question, Czartoryski se prononce en
faveur d’une organisation de type militaire, pensant ainsi contrecarrer les
tendances à la démocratisation que manifestent les Dépôts et couper l’herbe
sous le pied de ses adversaires politiques – principalement Lelewel et ses
partisans. C’est ainsi que, dès le mois de décembre 1831, l’idée de constituer
un comité des généraux se fait jour. […] Une Delegacja Generalów* se réunit à Paris le 9 mai 1832. Elle se
séparera sans résultat, et ses principaux protagonistes devront reconnaître
l’échec de leur tentative. [… Cela] n’empêchera pas Czartoryski d’essayer à
nouveau, dans un grand nombre de mémorandums et de conversations, d’intéresser
le gouvernement français à la mise en place d’une direction militaire de
l’émigration polonaise. Mais […] il ne trouvera pas l’écho espéré, car le
gouvernement français veut à tout prix éviter que les différentes composantes
de l’émigration polonaise ne s’unissent, sous quelque étiquette politique que
ce soit, et se refusera donc à reconnaître toute instance supérieure de l’émigration. »
Notes
*Delegacja Generalów : ???
Page 166-167
« Le penchant de Czartoryski
pour les organisations de type militaire le conduira parallèlement à commettre
une erreur lourde de conséquences […] Il s’agit du projet de former des légions
polonaises au service de l’étranger. Dans cette démarche, Czartoryski /// voit
la possibilité d’atteindre des objectifs aussi bien de politique extérieure
qu’en politique intérieure.
D’une part, la formation d’un
instrument militaire permettrait de participer activement à la grande guerre
désirée si ardemment. Une légion nationale fournirait le noyau et les cadre de
la future armée de libération nationale et également […] matérialiserait l’idée
de la présence polonaise en Europe.
D’autre part, […] Czartoryski
charge ce projet d’intentions anti-démocratiques : pour lui, la légion est
[…] destinée à éviter la politisation de soldats et d’officiers en
« chômage ». Malgré leur impopularité […] chez les émigrés,
Czartoryski s’entête dans cette voie et entreprend des négociations avec tous
les gouvernements susceptibles de s’intéresser à son projet : […] français,
anglais, belge, turc, portugais et espagnol. »
Page 167-168
« La question de savoir
comment unifier les différentes tendances de l’émigration […] se ramène au
choix d’une instance suprême de l’exil […]
Plusieurs candidats sont sur les
rangs : d’abord le Komitet narodowy
polski, fondé […] en novembre 1831 sous
la présidence de Joachim Lelewel, et dont les dépôts provinciaux contestent la
légitimité démocratique. A côté, il y a le Komitet
narodowy emigracji polskiej, dont la création, le 22 octobre 1832 résulte
d’un compromis difficile entre les représentants des Dépôts. A sa tête se
trouve le général Dwernicki. La troisième institution concurrente est le Sejm*,
qui, pendant l’insurrection, avait décidé qu’en cas de défaite, il continuerait
de siéger en exil avec /// toutes les prérogatives d’une représentation nationale, à condition de réunir un quorum de 33 membres. Enfin, il y a le
général Maciej Rybinski*, dernier commandant en chef de l’armée
révolutionnaire, qui revendique la direction du mouvement sans être pris au
sérieux par quiconque […].
Czartoryski agit prudemment, mais
aussi de manière très logique. Il s’aperçoit très vite qu’il n’a […] aucune
chance d’être reconnu comme chef de l’émigration. Par ailleurs, s’il reconnaît
une instance suprême qui serait mandataire de la nation polonaise, il en
deviendra forcément dépendant […]. En conséquence, en janvier 1833, il ira
jusqu’à torpiller le Sejm, en l’empêchant, grâce à l’abstention de ses
partisans, d’atteindre le quorum prescrit […]. Avant d’en arriver là, il
déclarera à plusieurs reprises qu’il considère la constitution d’un Sejm en
exil comme inopportune, voire intolérable pour les gouvernements des pays-hôtes. »
Notes
*Sejm : la
Diète du royaume de Pologne
*Maciej Rybinski : Matthieu Rybinski (Maciej
Rybiński, 1784-1874), commandant en chef de l’armée polonaise pendant
quelques jours en septembre 1831
Pages 168-169
« En se prononçant […] vers
la fin de l’année 1832, contre l’unification de l’émigration au sein d’un
organe directeur unique, Czartoryski prend une décision d’importance capitale.
[…] Elle ouvre la voie aux futurs développements organisationnels de
l’émigration, qui aboutiront à la création de grands partis efficaces. Ce n’est
pas par hasard que les /// deux tendances qui s’opposent à la mise en place
d’une instance suprême de l’émigration deviendront quelques années plus tard
les partis politiques les plus puissants, à savoir le T.D.P. (Société
Démocratique Polonaise*) et, avec un certain décalage, le camp
monarchiste. »
Notes
*T.D.P. (Towarzystwo
Demokratyczne Polskie) ou SDP (Société Démocratique Polonaise) :
société politique de l’émigration polonaise
d’orientation radicale, fondée en 1832 à Paris par Adam Gurowski, Jean
Népomucène Janowski, Thaddée Krempowiecki, Ignace Romuald Pluzanski
et Alexandre Casimir Pulaski, connue par le « Petit manifeste » (Akt zalożenia, « Charte de
fondation », 1832) ; après le départ de Krepowiecki et des radicaux
(Comité de Paris) en 1834, le programme de la Société est publié dans le
« Grand manifeste » (Poitiers, 1836)
Création : 10 août 2015
Mise à jour :
Révision : 4 juillet 2017
Auteur
: Jacques Richard
Blog :
Sur Frédéric Chopin Questions historiques et biographiques
Page : 204 Daniel Beauvois L'insurrection de 1830-1831 : contribution 9 (Hahn)
Lien : http://surfredericchopin.blogspot.fr/2015/08/beauvois-contribution-9.html
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