A propos
de l’ouvrage principal d’Edouard Ganche sur Frédéric
Chopin : étude du chapitre 1 de l’édition de 1923.
Classement : biographies ; Chopin
Ceci est la suite de la page Edouard
Ganche biographe de Chopin 2, consacrée à l’ouvrage de cet auteur intitulé Frédéric Chopin Sa vie et ses
œuvres.
Après la version de 1937, je présente ici le premier chapitre de la première partie
(« Frédéric Chopin en Pologne ») tel qu’il apparaît dans la version
de 1923, disponible en ligne (format PDF).
Dans les deux versions, le
chapitre 1 couvre les pages 15 à 24 et la table des matières fournit le contenu
suivant, identique à celui de 1937 :
« Chapitre 1 : 1810
Frédéric Chopin. Sa naissance. Ses
ancêtres. Sa nationalité. Ses parents. La Pologne et les Polonais. L’enfance de
Chopin. »
Néanmoins, elles se différencient
par un long passage, du fait que l’une est antérieure à la découverte de l’acte
de baptême de Nicolas Chopin et l’autre postérieure. Dans l’édition de 1923,
Edouard Ganche mentionne les deux grandes hypothèses (erronées) concernant
l’ascendance de Nicolas Chopin.
Transcription
Le texte de 1937 se trouve sur cette page spécifique ; je reproduis ici seulement le passage de 1923 qui a
subi des modifications :
« Page 18
[ce passage en italique et ce qui le précède se retrouvent
dans l’édition de 1937] L’incertitude du
musicien sur la date de sa naissance était moins singulière que son ignorance
absolue de la famille de son père, du lieu de sa résidence en France, et de son
milieu social. Rien ne lui permit de les connaître ni de les découvrir.
Les Polonais ont soulevé un autre débat en voulant démontrer
la pureté de la race de leur compatriote, mis au rang des gloires nationales.
Plusieurs faits laissent supposer que Frédéric Chopin avait un peu de sang
français. Chopin est un nom français ; Nicolas Chopin, père de Frédéric,
est né en Lorraine, à Nancy, le 17 août 1770, et vers 1787 vint à Varsovie. Il
professait la langue française et s’en servit toujours dans sa correspondance
avec son fils, tandis que la mère et les sœurs de Frédéric lui écrivaient en
polonais. Les amis de Chopin et tous ses contemporains l’ont déclaré né d’un
père français et il ne protesta point. Il savait pourtant que
Page 19
cette affirmation
pouvait être retenue, car, en 1835, Marie Wodzinska lui disait dans une
lettre : « Nous ne cessons de regretter que vous ne vous appeliez pas
Chopinski, ou qu’il n’y ait pas d’autres marques que vous êtes Polonais, car de
cette manière les Français ne pourraient nous disputer la gloire d’être vos
compatriotes. » Si Chopin n’a point réfuté cette consanguinité
française, c’est qu’il n’avait aucune donnée sur les origines de ses aïeux
paternels. Il ne supposait pas non plus que cette question secondaire pût
servir sérieusement à contester sa nationalité. Au reste, son naturel réservé
répugnait aux explications de ce genre.
On commença, aussitôt après sa
mort, à chercher l’origine de ses ancêtres. Un article publié dans le Journal
de Rouen* du 1er décembre 1849 représentait Chopin issu de la
famille française Chopin d’Arnouville*, dont un membre aurait gagné la Pologne
en 1685, à la suite de la révocation de l’édit de Nantes, destiné à persécuter
les protestants. Conjecture invraisemblable, puisque les Chopin étaient
catholiques.
Suivant la thèse de Polonais, un
ancêtre de Chopin aurait quitté la Pologne à l’époque où Stanislas Leczinski
vint en Lorraine. Adoptant cette opinion, Mme Wanda Landowska* (1) affirma que
l’arrière-grand-père de Chopin s’appelait bien Nicolas Szop (lisez :
Chop). Avec un de ses compatriotes, Jean Kowalski (Kowal, forgeron), il aurait
obtenu, vers 1714, l’autorisation d’ouvrir un commerce de vin à Nancy, et les
deux associés francisèrent leur nom en Ferrand et Chopin. Un fils de Nicolas Szop,
Jean-Jacques Chopin, serait devenu maître d’école et son fils cadet aurait
enfin été le père de Frédéric Chopin (2).
Note 1. Mme Wanda Landowska,
pianiste, claveciniste et musicographe.
Note 2. Cette thèse est infirmée
par M. André Lévy* dans son étude : La
fin d’une légende. L’origine lorraine de Chopin (Mercure de France, 16
novembre 1912). Après des recherches minutieuses aux archives de Nancy,
Lunéville et Commercy, M. Lévy n’a retrouvé aucune trace du
séjour à Nancy des ancêtres de Chopin.
J’ai fait, moi-même, les mêmes
recherches, sans résultat. Mais l’absence de pièces officielles assurant
l’existence en Lorraine d’ancêtres français [sic ; il veut sans doute dire :
« polonais »] ne prouve rien et l’incertitude subsiste.
Page 20
Les seules lois de l’hérédité pourraient prêter de l’importance à l’étude des
ascendants de Chopin, si son esprit et son œuvre ne représentaient tant
l’absolu caractère de la race polonaise. Chopin
fut Polonais à l’extrême et il eût considéré un doute à ce sujet l’équivalent
d’une injure grave. « Je suis un vrai Mazovien », écrit-il à ses
parents le 20 juillet 1845. Et dans une autre lettre de 1846, il déclare :
« Dans un mois, j’espère trouver encore Nowakowski*… Avec lui, au moins,
je parle notre langue… »
Le
génie de Chopin est éminemment national, mais malgré l’incertitude de ses affinités
françaises on peut prétendre que la France fut sa seconde patrie, car il y
trouva des éléments qui contribuèrent à sa gloire.
Désireux de voir la
Pologne, le père de Chopin vint à Varsovie vers 1787 et accepta la situation de
comptable dans une manufacture de tabac* dirigée par un Français. [les passages en gras sont largement repris dans la
version de 1937, sauf la date de l’arrivée de Nicolas Chopin : 1787
au lieu de 1789]
Après avoir connu un siècle de prospérité et d’éclat à partir du règne de Sobieski, la Pologne tomba dans un état de perpétuelle anarchie et sa ruine commença. [ce passage en italique et ce qui le suit se retrouvent dans la version de 1937] »
Après avoir connu un siècle de prospérité et d’éclat à partir du règne de Sobieski, la Pologne tomba dans un état de perpétuelle anarchie et sa ruine commença. [ce passage en italique et ce qui le suit se retrouvent dans la version de 1937] »
Notes
*Journal de Rouen :
Voir la page Sur un article du Journal de Rouen (1er décembre 1849).
L’article évoqué par Edouard Ganche est disponible en ligne sur le site des AD 76 (numéro du 1° décembre 1849, pages 2 et 3 : « Monument à la mémoire de Chopin).
Voir la page Sur un article du Journal de Rouen (1er décembre 1849).
L’article évoqué par Edouard Ganche est disponible en ligne sur le site des AD 76 (numéro du 1° décembre 1849, pages 2 et 3 : « Monument à la mémoire de Chopin).
L’article parle de la mort de Chopin, de ses funérailles, du
monument et de la souscription organisée ; il évoque ensuite le talent de
Chopin, son intervention à Rouen quelques années avant, et ajoute :
« […] outre son talent et son génie, dont il doit la consécration
à la France, il avait encore des liens naturels qui l’unissaient à la
mère-patrie des arts et des artistes. Chopin était issu de la famille française
de Chopin d’Arnouville, dont un des membres, victime de la révocation de l’édit
de Nantes, avait été chercher un asile sur le sol polonais. Le célèbre
descendant du sujet proscrit de Louis XIV, Chopin, né à Varsovie en 1810, a
reçu de son père la tradition d’un amour sincère pour la France. C’est en
France qu’il vint à son tour chercher un abri contre les malheurs dont
l’invasion russe accabla son malheureux pays d’adoption, et c’est en France
qu’il trouva cette hospitalité qui lui devint si glorieuse. Chopin, avec un nom
français, une origine française, une renommée toute française, peut bien être,
comme l’ont été Gluck, Grétry et Méhul, revendiqué par la France, qui a su
honorer sa vie, célébrer sa mort, et qui fait tout pour glorifier sa
mémoire. »
L’auteur de l’article ne met en avant aucune source
justifiant son affirmation concernant un Chopin d’Arnouville (cf. infra). Par
ailleurs, s’il donne une année de naissance correcte, il fait une erreur sur le
lieu de naissance et sur les circonstances de l’exil de Chopin (qui quitte la
Pologne avant le début des événements de 1830-1831, et à proprement parler, n’a
pas eu à se mettre « à l’abri » de l’invasion russe).
*famille Chopin d’Arnouville :
Voir la page La famille Choppin d'Arnouville.
On trouve sur Internet des « Chopin d’Arnouville » et des « Choppin d’Arnouville », dont certains membres ont eu un rôle notable (par exemple, préfet du Bas-Rhin vers 1830) ; en revanche il n’est pas évident que cette famille ait été protestante, ni qu’un de ses membres ait émigré en Pologne pour cette raison.
On trouve sur Internet des « Chopin d’Arnouville » et des « Choppin d’Arnouville », dont certains membres ont eu un rôle notable (par exemple, préfet du Bas-Rhin vers 1830) ; en revanche il n’est pas évident que cette famille ait été protestante, ni qu’un de ses membres ait émigré en Pologne pour cette raison.
*Wanda Landowska (1879-1959)
Le texte de Wanda Landowska sur Chopin auquel fait allusion
Edouard Ganche est aussi paru au Mercure de France en 1911, comme l’indique
André Lévy dans son article (cf. note infra). Il s’agit d’une lettre publiée
dans le numéro 331, 1° avril 1911, rubrique « Echos », pages 669-670,
disponible sur Gallica, en réponse à un article d’A. de Bertha* (dans La Vie musicale, revue genevoise).
Wanda Landowska reprend la rumeur déjà présente chez Marcel
Szulc et chez Antoni Wodzinski ; mais alors que ceux-ci ne lui accordaient
pas, formellement, une confiance absolue et ne citaient pas de sources, elle donne une caution
personnelle catégorique à une assertion dans laquelle elle introduit une erreur
historique grave (signalée par André Lévy, infra) :
« L’admirable discours que Paderewski a prononcé aux
dernières fêtes de la musique polonaise à Lemberg [Lvov] vient de provoquer de
nouvelles discussions au sujet de la nationalité de Chopin. M. de Bertha, dans
un article publié dans la Vie Musicale
de Genève et reproduit par quelques revues parisiennes, nous recommande de ne
pas oublier que, si ce grand compositeur avait pour mère une Polonaise, son
père était Lorrain ; on ne doit donc pas le considérer comme un génie exclusivement
polonais, mais bien comme « composé mi-partie d’éléments français
mi-partie d’éléments polonais ».
Ici
une petite rectification s’impose. L’arrière-grand-père de Chopin était
Polonais ; c’était un courtisan du roi Stanislas Leszczynski, qu’il avait
accompagné en Lorraine. Il s’appelait Nicolas Szop (lisez Chop). Vers 1714 il
obtint l’autorisation du roi d’ouvrir à Nancy un commerce de vin, en
association avec un de ses compatriotes, Jean Kowalski (Kowal, forgeron). Comme cela se pratiquait alors, les deux associés
traduisirent leurs noms en français, et leur vin portait la marque :
Ferrand et Chopin. Le fils de Nicolas Szop, Jean-Jacques Chopin, était maître d’école
et son fils cadet fut le père de Chopin. ».
Après cette avalanche de « détails
authentiques », elle ajoute une phrase malencontreuse : « Ces documents, peu connus en
France, se trouvent aux archives de Nancy. »
Cet énoncé amène André Lévy à faire la recherche, qui, en
toute logique (rétrospectivement) ne donne aucun résultat. L'erreur historique de Wanda Landowska est de situer la présence à Nancy de Szop, courtisan de Stanislas Leszczynski, en 1714 (Stanislas ne devient duc de Lorraine qu'en 1736). Le caractère outrancier de l'intervention de Wanda Landowska est probablement liée à l'évolution du patriotisme polonais du XIXème siècle en un nationalisme plus ou moins borné (incarné notamment par le Parti national-démocrate).
* A. de Bertha : sans doute Alexandre de Bertha
(1843-1912), musicologue et musicien d’origine hongroise, mort à Paris.
*André Lévy (pas d’informations sur cette personnalité)
Voir les pages Sur
un article d'André Lévy dans le Mercure de France (1912) : le texte de
l'article et l'étude de l'article.
L’article d’André Lévy cité par Edouard Ganche, daté de
« mai 1912 » est disponible sur Gallica (Mercure de France, n° 370, 16 novembre 1912, pages
297-302).
Cet article cite notamment celui (cf. supra) de Wanda
Landowska et donne le détail des recherches faites par l’auteur dans les
archives concernant Nancy et Commercy (et d’un archiviste à Lunéville). N’ayant
trouvé aucun document faisant état d’une personne de Nancy, ni d’origine
polonaise, ni d’origine française, apparentée à Nicolas Chopin, André Lévy en
déduit comme cela apparaît dans le titre, que Nicolas Chopin n’était pas
d’origine lorraine : « Nous espérons qu’elles [nos recherches]
suffiront à détruire la légende de l’origine lorraine de Chopin. Cette origine
demeure plus que jamais mystérieuse. Nous avons essayé vainement d’avoir en
Pologne quelques indices pouvant nous mettre sur la voie, et nous craignons
bien que ce petit point d’histoire musicale demeure à jamais inexpliqué. »
Il semble avoir oublié qu’il menait cette recherche pour
démentir la théorie soutenue par Wanda Landowska d’un ancêtre polonais venu à
Nancy… Suite à ses recherches, Lévy aurait été
en droit de dire que Nicolas Chopin n’était ni de Nancy, ni de Commercy,
ni de Lunéville, et qu’aucun ancêtre polonais n’apparaissait ; mais
présenter ses « origines lorraines » comme une « légende »
était abusif en 1912, ce que l'avenir a confirmé.
André Lévy ne prend pas en compte ce que disait publiquement
Nicolas Chopin, à supposer qu’il l’ait su. On sait maintenant que c’était
inexact (ou si on veut qu’il « mentait ») en ce qui concerne sa
localité de naissance (« Nancy » au lieu de
« Marainville »), mais pas sur sa province d’origine. On peut
comprendre pourquoi Nicolas disait « Nancy », et plutôt que
« Marainville » (plusieurs raisons peuvent être imaginées), mais je
ne vois pas de raison qu’il aurait eu de mentir sur sa province, ou sur son
pays d’origine. Lévy fait donc ici preuve d’un excès de méfiance.
*Nowakowski : Joseph Nowakowski (1800-1865), musicien
polonais (cf. notice en anglais sur le site du
Narodowy Instytut Fryderyka Chopina)
Commentaires
La version de 1923 (qui doit être
proche des versions antérieures à 1927) confirme le rapport de Ganche avec Karasowski
(édition
polonaise de 1882) : on retrouve la date d’arrivée de 1787 pour
l’arrivée de Nicolas Chopin en Pologne, et la date de naissance du 17 août
1770.
Ganche commence par présenter le
point de vue de Chopin sur les origines de son père (pages 18-19) ; son
raisonnement n’est pas clair :
« Les amis de Chopin
et tous ses contemporains l’ont déclaré né d’un père français et il ne protesta
point. Il savait pourtant que cette affirmation pouvait être retenue, car, en
1835, Marie Wodzinska lui disait dans une lettre : « Nous ne cessons de regretter que vous ne vous appeliez pas Chopinski,
ou qu’il n’y ait pas d’autres marques que vous êtes Polonais, car de cette
manière les Français ne pourraient nous disputer la gloire d’être vos
compatriotes. Si Chopin n’a point réfuté cette consanguinité française, c’est
qu’il n’avait aucune donnée sur les origines de ses aïeux paternels. Il ne
supposait pas non plus que cette question secondaire pût servir sérieusement à
contester sa nationalité. Au reste, son naturel réservé répugnait aux
explications de ce genre. »
En fait, il semble compliquer les choses ; il me semble que pour Frédéric, l’origine française de son père ne faisait pas de doute, puisque c’était ce que disait son père.
En fait, il semble compliquer les choses ; il me semble que pour Frédéric, l’origine française de son père ne faisait pas de doute, puisque c’était ce que disait son père.
Il en vient ensuite aux hypothèses
émises, selon lui « après sa mort » : l’hypothèse Chopin
d’Arnouville et l’hypothèse Szop.
*hypothèse Chopin d’Arnouville (il donne la source citée par Niecks, sans plus de détail) : il réfute cette hypothèse au motif que les
Chopin du XIXème siècle étant catholiques, ils ne peuvent descendre d’un émigré
protestant ; ce raisonnement est évidemment sans fondement… Le problème réell est qu’il n’y a probablement pas eu de Chopin d’Arnouville émigré en
Pologne ; et que, même s’il y en avait eu, cela ne prouverait rien quant à un lien effectif avec Nicolas Chopin, et même dans ce cas : un arrière-grand-père étranger (Chopin d'Arnouville ou Szop, du reste) a-t-il une valeur réelle dans la détermination de la nationalité d'un individu ?
*hypothèse Szop : ici, il apporte des éléments
nouveaux en faisant écho à la polémique de 1911 entre Alexandre de Bertha et
Wanda Landowska (cf. notes supra) ; en revanche, il n’évoque pas les
auteurs antérieurs à Wanda Landowska (Szulc et Wodzinski), semblant faire de
celle-ci l’inventeur de cette thèse (point de vue repris sans aucune réflexion
par Emmanuel Langavant) ; l’article d’André Lévy qu’il donne en
référence permet cependant de mieux cerner la question.
Au total, cette version représente déjà une avancée par rapport à l'historiographie ancienne des origines de Nicolas Chopin.
Création : 24 juillet 2013
Mise à jour : 10 avril 2014
Révision : 22 août 2017
Auteur
: Jacques Richard
Blog :
Sur Frédéric Chopin Questions historiques et biographiques
Page : 85 Edouard Ganche 2 Chopin (1923) : étude et texte du chapitre 1
Lien : http://surfredericchopin.blogspot.fr/2013/07/e-ganche-2-chapitre-1-1923.html
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