Analyse du contenu du passeport de Chopin
Deuxième partie : à propos de la formule « de parents français »
Deuxième partie : à propos de la formule « de parents français »
Classement : biographie ; documents ; Frédéric Chopin
Ceci est la suite de
la page Le passeport de 1837 de Chopin Analyse.
J’étudie ci-dessous en détail la formule : « natif de Varsovie de parents français », ainsi que la mention sur l’âge de Chopin indiqué sur ce passeport :
« 26 ans ». La formule relative aux « parents français » a
fait couler pas mal d’encre, constituant pour certains une preuve catégorique
de la nationalité française de Chopin. Elle pose en réalité pas mal de questions. Je rappelle qu'elle n'a pas été portée par le préfet de police, Gabriel Delesssert, mais par un autre fonctionnaire (non identifié), le rédacteur des parties manuscrites.
A propos du lieu de naissance et de l'âge de Chopin
Tout d’abord,
Chopin n’est pas né à Varsovie et il n’y a aucun doute qu’il savait être né à
40 km de là. Il est évident que dans la conversation mondaine ou courante, une telle approximation était acceptable, pour simplifier les choses aux Français qui connaissaient peu de choses de la Pologne, mais pas dans un document officiel.
Cela amène à s’interroger sur les conditions concrètes de la
rédaction du passeport.
Cette approximation montre que le rédacteur n’a pas eu sous les
yeux de traduction de l’acte de naissance de Chopin (il existait un bureau ad
hoc à la Préfecture de police, dans le Quatrième bureau, et il est évident que
le polonais était une langue « incontournable » à cette époque, vu le
nombre de réfugiés), et qu'il n'a pas interrogé Chopin lui-même, sinon il aurait écrit « natif de Brochów
(Pologne) » et non pas « natif de Varsovie ». Probablement,
n’aurait-il pas écrit non plus « 26 ans » au lieu de 27.
Cette erreur montre que la rédaction a eu lieu en
l’absence de Chopin, car celui-ci n’aurait pas laissé passer une telle erreur
sur son âge, s’il l’avait connue en temps utile (après coup, cela n’a pas une
très grande importance).
En second lieu, si on peut admettre que Chopin ait pu parler,
en quelque circonstance que ce soit, de son père comme d’un Français, ou de
quelqu’un originaire de France, il est totalement invraisemblable qu’il ait
lui-même attribué cette nationalité à sa mère.
La formule « de parents
français » est le fait du rédacteur, qui, ayant connaissance de l’origine
française de Nicolas Chopin, le considère comme français, et attribue
spontanément la nationalité française à son épouse, en se fondant sur ce qu’il
connaît (le droit français, le Code Napoléon), sans s'interroger sur la
situation juridique réelle de Justyna Chopin.
A propos de l’origine française de Nicolas Chopin
Le fait que Nicolas Chopin était originaire de France a
probablement été connu dans les services s’occupant des étrangers peu après
l’arrivée de Chopin en France. Dans son livre sur Chopin, Marie-Paule Rambeau
rapporte en effet, qu’à la fin de 1831 (il est arrivé en septembre), il a
obtenu un permis de séjour (voir la page Sur un permis de séjour de Chopin en 1831 et sur le comte Rambuteau) lui
permettant de rester à Paris.
Il s’agit peut-être du permis délivré (en
principe) à tout étranger arrivé en France, quelle que soit la raison de sa
venue (voir la page Les
passeports en France au XIXème siècle), mais dans le cas de Chopin, il
aurait bénéficié d’un appui de collègues musiciens, notamment de Ferdinand
Paër, personnalité bien installée en France à cette époque, afin qu’il puisse
rester à Paris.
D’après une lettre de Paër à un collègue*, Chopin a
alors été enregistré comme « né de père français », sans doute un
moyen de le distinguer favorablement. En l’occurrence, ce serait Paër qui
aurait fait part de cette notion à l’administration plutôt que Chopin.
D’autre part, à la fin de 1831, le comte de Rambuteau cite Chopin dans une lettre* au directeur de l’Opéra :
« Plusieurs personnes qui portent un vif intérêt à Mr. Chopin, artiste
polonais distingué, … », sans du reste lui attribuer la nationalité
française. Marie-Paule Rambeau fait sans doute une erreur en écrivant que le
permis vient de la préfecture de la Seine et en donnant à Rambuteau le titre de
« préfet » (origine de la confusion), étant donné qu’il n’est devenu
préfet de la Seine qu’en 1833 ; en 1831, il n’est que député. Mais cela
montre que la notoriété de Chopin va déjà au-delà du milieu strictement musical.
Mais, pas plus que son propre acte de naissance ou de baptême, Chopin n’a produit l’acte de baptême de son père (puisque manifestement il ne savait pas qu'il était né à Marainville) seule preuve administrative de la réalité de son origine française, d’un point de vue strictement administratif, les mentions « de père français » (1831) et « de parents français » (1837) n'ont pas de fondement solide.
*Ferdinand Paër est alors directeur de la musique du
roi ; à Vienne, Chopin avait obtenu du musicien Malfatti une lettre de recommandation auprès de Paër.
*Lettre citée par Marie-Paule Rambeau, Chopin l’Enchanteur autoritaire, p. 250
*Ibidem, p. 277.
Conclusion
L’énoncé « de parents français », en l’absence de
toute référence à des documents (les actes de naissance du père et du fils, des textes de loi polonais) n’a aucune valeur juridique, pas plus que n’en avait la
notation « Français » dans l’acte de baptême de Frédéric Chopin, et
que n’en aurait eu la même notation dans son acte de naissance. Ce n’est pas
une absurdité, mais il n’y a pas lieu de faire comme si cette remarque constituait
une réponse documentée à une demande expresse de Chopin de se faire reconnaître
la nationalité française, ou comme s’il s’agissait de l’expression d’une
volonté administrative de naturaliser Chopin français, ou même de le
« rétablir » dans sa « vraie nationalité », sans qu’il le
sache.
Cela fait plutôt partie des marques de déférence : le
rédacteur lui fait l’honneur de lui signaler que ses racines françaises ne lui
sont pas inconnues, qu’il sait qu’il n’est pas tout à fait comme les autres
Polonais de Paris. En englobant Justyna Chopin, il a probablement suscité
une certaine surprise chez celui qu’il voulait sans doute flatter.
Création : 31 octobre 2014
Mise à jour : 7 août 2016
Révision : 11 juillet 2017
Auteur
: Jacques Richard
Blog :
Sur Frédéric Chopin Questions historiques et biographiques
Page : 170 Le passeport de 1837 : Analyse 2 (« de parents français »)
Lien : http://surfredericchopin.blogspot.fr/2014/10/170-le-passeport-de-1837-analyse-2-de.html
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