Quelques informations à propos du livre de Bernard Gavoty Frédéric
Chopin : le chapitre « Prélude »
Classement : questions biographiques ; écrits sur Chopin
Ceci est la suite de la page Bernard
Gavoty 2, consacrée à son ouvrage intitulé Frédéric Chopin, paru aux éditions Bernard Grasset en 1973.
Je reproduis ci-dessous le texte du chapitre intitulé
« Prélude », suivi de quelques commentaires.
Les astérisques sont des appels de notes de ma part (en bas
de page).
Je mets en valeur (en gras) les passages notables.
Texte
« Page 9
Prélude
Bernard Privat* et Robert de
Saint Jean* m’ont demandé, il y a des années, d’écrire ce gros livre
« faisant le point » sur un musicien qui a suscité quantité
d’ouvrages, parfois romancés, mais qui devait bénéficier des plus récentes
recherches. Car, c’est un fait, à mesure qu’un homme illustre s’éloigne dans le
temps, son histoire, elle, se nourrit de révélations qui ont mis longtemps à
venir au jour. Elle se précise, elle s’éclaire, elle approche de
l’insaisissable vérité.
Nombreux sont les travaux français,
polonais, russes, anglais, italiens et espagnols consacrés, depuis une
trentaine d’années, à Frédéric Chopin. Certains s’étayent sur des hypothèses
douteuses, que nous exposons avec les réserves nécessaires. D’autres font état
de fais nouveaux, sérieusement contrôlés, ou de précisions relatives à ce que
les biographes français ont traité trop brièvement : la jeunesse
polonaise.
Car il y a deux Chopin, selon les
biographes.
D’un côté, le Polonais à part
entière, le poitrinaire de naissance, l’amoureux transi, l’éternel nostalgique,
le compositeur qui fait rêver les jeunes filles et déraisonner les musicologues
épris d’images héroïques.
De l’autre, le Français, qui
retrouve à Paris le climat paternel, l’homme gai, bien portant, robuste,
l’amant gaillard qui, vers la fin de sa vie, éprouve quelques ennuis de santé,
dont il trépasse sans trop se plaindre.
J’ai lu beaucoup de livres
dérivant de l’une et l’autre tendance*. Aucune de ces biographies à thèse ne
m’a convaincu.
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Parce que, tout simplement la
vérité – loin d’être, comme on dit, « entre les deux » – est tout
autre.
L’hérédité de Chopin se
partage entre les deux pays qui ont vu naître ses parents : la Pologne
et la France. Dans leur ardeur à
s’annexer totalement Chopin, des Polonais sont allés jusqu’à prétendre que
Nicolas, père de Frédéric, était issu d’une lignée slave et s’appelait de son
vrai nom « Szop ». L’un de ces exaltés est venu me trouver, tout
exprès, à Paris, pour m’apprendre qu’à l’époque de la naissance (1771) du père
de Chopin, à Marainville, dans les Vosges, la Lorraine était polonaise, du fait
de Stanislas Leczinski*. Un autre m’a démontré, sans aucune preuve à l’appui,
que Frédéric Chopin était le fils de Justynia, polonaise, et d’un officier du
roi Leczinski*. J’ai éprouvé le plus vif plaisir à détromper ces
imposteurs.
Donc, Chopin est, si l’on peut dire, un « demi-sang ». A ce titre, il participe de deux races.
Mais il est bien évident que les dix-neuf premières années, vécues à Varsovie,
ont pesé lourd dans la balance de sa formation. Sans contredit, sa musique est
d’essence polonaise, ce qui n’a pas empêché la culture et l’ambiance
parisiennes de jouer un rôle notable dans le développement de son génie. Dans
un chapitre de ses Aspects de Chopin
(1) : « Ce que Chopin doit à la France », Alfred Cortot fait la
part des choses. Une étude attentive des œuvres composées à Varsovie et à Paris
est, à cet égard, convaincante.
Il y a donc un intérêt majeur à
décrire longuement la période de formation d’un talent aussi caractéristique et
à la nature d’un jeune homme qui, depuis le jour où il quitte Varsovie, jusqu’à
celui où il meurt à Paris, ne changera guère. En insistant sur la période
polonaise (1810-1830), nous croyons avoir été fidèle à la vérité et, peut-être,
avoir apporté du nouveau.
Le désir de peindre Chopin tel
qu’il fut nous a fait éviter avec soin des prises de position flatteuses, mais
irréelles.
Poitrinaire dès le berceau ?
Non, certes ! Mais fragile de
(1) Albin Michel
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naissance, sujet à des affections inquiétantes, révélatrices pour la médecine
d’aujourd'hui, sinon pour celle, fort ignorante, du XIXè siècle. Anémique,
médiocrement viril, incapable d’efforts physiques prolongés. Après quelques
années de répit, vécues à Paris, très vite, les symptômes de la consomption
tuberculeuse se déclarent. Est-ce notre faute si les praticiens qui le soignent
parlent d’une affection chronique du larynx ? Curieuse laryngite, qui
provoque hémoptysies, oppressions, névralgies, étouffements, inflammations
ganglionnaires, etc.
Qu’en dépit de ses tourments,
Chopin ait été souvent gai et charmant, c’est l’évidence. Comme tout esprit
supérieur, il a tout en partage : l’exubérance et la mélancolie, la drôlerie
et le désespoir. N’oublions pas sa devise : « Les gens qui ne rient
jamais ne sont pas des gens sérieux… » Homo
duplex.
Que ce sylphe aux allures
aristocratiques ait parfois le mot cru et la plaisanterie un peu lourde, est
tout aussi certain. L’homme est, par essence, divers et le grand homme ne fait
pas exception à la règle.
Sur le comportement amoureux,
assez décevant, de notre héros, j’insiste assez au long de ce livre pour ne pas
vouloir résumer en quelques lignes un « cas » complexe, à bien des
égards troublant et, finalement, incertain. Le long épisode de sa liaison avec
George Sand est délicat. Ne voulant être « chopinien » ni
« sandiste », j’ai cherché simplement l’équité, en fournissant toutes
les pièces d’un procès qui ne finira sans doute jamais d’être plaidé. Se
trouvent face à face deux natures antagonistes et complémentaires. Un roman de
la taille de ceux qu’écrivait Sand – mais celui-là sincère et véritable – ne
serait pas de trop pour rendre à George ce qui est à George et à Chopin ce qui
lui revient de droit.
Que les malheurs de la Pologne aient joué dans sa vie un rôle capital
n’implique en aucune manière qu’à chaque note écrite sur son papier réglé,
Chopin ait étouffé des sanglots inspirés par les tribulations de son pays
natal. Toutes les Valses, toutes les Etudes, non plus que la Barcarolle, la
Berceuse, la Tarentelle, le Boléro, les Ecossaises, etc., ne sont pas autant
d’allusions au calvaire de Varsovie écrasée
Page 12
sous la botte russe. Mais, à montrer
Chopin tel un dandy parisien, plus soucieux de son bien-être que des
souffrances de son pays opprimé, on se tromperait davantage. L’image de
l’exilé, chantre lointain d’une nation douloureusement éprouvée, aucunement
ridicule, est, de surcroît, conforme à la réalité des faits, comme aux
confidences de Chopin à ses intimes.
Littéraire ? Pas le moins du
monde. Ne cherchons pas à coups d’adjectifs et d’images tempétueuses la réalité
d’une œuvre qui ne se veut que musicale. La poésie n’a guère retenu ce poète
des poètes – et, sans doute, l’allergie qu’il éprouve à l’endroit de la musique
de Schumann*, si attentif pourtant à l’œuvre de son confrère et contemporain,
tient-elle au fait que Schumann accorde à la littérature une valeur
inspiratrice que Chopin lui refuse, à deux ou trois exceptions près. Chopin ne
comment pas ses émotions, il les vit, au piano ou à sa table de travail. Jamais
il n’épilogue sur un événement, un abandon, un chagrin. Son journal intime, il
ne le rédige pas avec des mots : seulement avec des notes. Ni Delacroix,
ni Balzac, encore moins George Sand, ne l’intéressent en tant qu’artistes.
« Musicien, rien que musicien », juge sainement l’auteur de Lélia. Et
ses confrères les plus illustres, – tels Schumann, Liszt*, Berlioz et Mendelssohn*
– s’attirent de la part de Chopin plus de coups de griffe que de caresses. Indifférent
à tout ce qui ne touche pas son œuvre, sa famille et « les
siens » : les Polonais. Non pas égoïste : égocentrique.
Est-ce le portrait d’un artiste
décevant qui se profile dans ces pages liminaires ? Nullement. Je sais peu
d’hommes aussi attachants que Chopin, et aucun, peut-être, sauf Mozart et Schubert,
qui provoque à ce point la tendresse. Les autres, on les admire :
celui-là, on l’aime. D’amour. Alors, tentons de lui vouer un amour clairvoyant.
Pourquoi un livre aussi
volumineux ? Je répondrai qu’à moi il a paru bref, trop bref, parce que,
négligeant le moins de faits possibles, vivant au jour le jour avec mon héros,
je m’attachais à lui, au point d’avoir l’illusion d’être son ami, et non son
historiographe. Je crois féconde cette intimité
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du conteur avec la raconté et j’ai l’espoir que bon nombre de mes lecteurs éprouveront
à l’égard de Chopin l’attachement passionné qu’il a suscité en moi. Peu
d’aventures plus touchantes, peu d’hommes aussi compliqués. Il fallait éclairer
l’existence et scruter une âme inquiète. Tout cela prend du temps et de la
place.
Un avant-propos est toujours,
plus ou moins, un plaidoyer où l’on joue l’avocat de soi-même – le meilleur, le
plus dévoué qui soit. Ayant expliqué au lecteur les raisons qui m’ont conduit à
être long, je souhaite que ce récit leur paraisse court. Dans ce but, je n’en
ai pas alourdi la trame par des analyses musicales, que les auteurs incluent
généralement dans le cours de leur travail, sans doute pour exercer le lecteur
à les mieux sauter. Les descriptions laborieuses ont le même sort. Cela pour légitimer
le parti que j’ai pris de reléguer à la fin du volume un chapitre plus
technique et détaillé sur les ouvrages musicaux de Chopin. Le consulteront qui
voudront. Les autres n’en seront pas gênés.
Et maintenant, au fait : aux
faits !
B. G. »
Notes
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*Bernard Privat (1911-1985) : écrivain (Prix Fémina
1959 pour Au pied du mur) et éditeur (responsable chez Grasset de 1954 à 1981
*Robert de Saint Jean (1901-1987) : écrivain et
journaliste
* beaucoup de livres dérivant de l’une et
l’autre tendance : affirmation malheureusement non référencée
(personnellement je n’ai pas rencontré, à ce jour, 17 août 2013, de livres de
ce type)
10
*Stanislas Leczinski : Stanislas Leszczynski (Stanisław Leszczyński), roi de Pologne
(1704-1709), duc de Lorraine (1737-1766) ; l’attribution à ce noble
polonais, dont la royauté était accidentelle, et qui s’était exilé, du titre de
duc de Lorraine, n’établissait aucune relation juridique entre la Lorraine et
la Pologne
*Un autre m’a démontré, sans aucune preuve à l’appui, que Frédéric
Chopin était le fils de Justynia, polonaise, et d’un officier du roi Leczinski :
cet « autre » est vraiment d’un exalté ; un officier de
Stanislas Leszczynski, âgé au minimum d’une trentaine d’années en 1766, en
aurait 75 en 1810. Dans les deux cas évoqués par Gavoty, il serait plus
vraisemblable qu’il se réfère à des conversations de salon qu’à des visites qui
lui auraient été faites, je ne vois pas bien dans quel but.
12
*Schumann (Robert, 1810-1856), admirateur de Chopin, auteur
de l’article « Messieurs, chapeau bas… un génie »
*Liszt (Franz, 1811-1886) : voir page
spécifique
*Mendelssohn (Félix, 1809-1847)
Analyse et commentaire
L’avant-propos se développe principalement autour du thème
de la double nature de Chopin – à la fois française et polonaise – ce qui
conduit l’auteur à indiquer qu’il donnera une relativement grande importance
aux années polonaises, des années de formation.
Il évoque aussi la question des relations entre Chopin et George
Sand, puis celle des relations entre sa musique et la Pologne.
Ce texte ne pose pas de problèmes majeurs ; on remarque
simplement qu’en 1973, Bernard Gavoty continue d’employer le vocabulaire de la « race »,
de l’« hérédité » : « l’hérédité de Chopin se partage entre les deux pays qui ont vu naître ses parents » et « Chopin est, si l’on peut dire, un « demi-sang ». A ce titre, il participe de deux races » (page 10), sans que cela ait de conséquences sur le reste du texte.
.
Création : 21 août 2013
Mise à jour : 24 avril 2014
Révision : 11 août 2017
Auteur
: Jacques Richard
Blog :
Sur Frédéric Chopin Questions historiques et biographiques
Page : 99 Bernard Gavoty 2 Chopin (1973) : l'avant-propos
Lien : http://surfredericchopin.blogspot.fr/2013/08/gavoty-2-chopin-1973-avant-propos.html
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