Reproduction du débat sur la Pologne à la Chambre des
députés le 19 février 1833
Classement : histoire des relations
franco-polonaises
Le texte de ce débat est reproduit dans l’ouvrage Souvenirs
de la Pologne présenté
par
ailleurs (tome I, pages 26 à 30).
On trouvera ci-dessous une version annotée du texte fourni dans cet
ouvrage.
Introduction
« Page 24
Introduction
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ALBUM
SITUATION DE LA CAUSE POLONAISE
L’époque que nous avons choisie
pour la publication de notre ouvrage n’est pas complètement stérile en
événements propres à réveiller l’attention publique sur notre cause, et dignes d’être
consignés dans les annales de notre émigration. Quatre incidents, entre autres,
nous semblent devoir être mis hors de ligne : 1° l’espèce de conflit qu’i
s’était élevé entre le ministre des Affaires étrangères et l’ambassadeur russe,
M. Pozzo di Borgo*, au sujet de l’expulsion réclamée par ce dernier des réfugiés
de Paris, […] ; 2° les derniers débats des Chambres françaises, amenés par
la discussion du budget des affaires étrangères ; 3° les représentations
énergiques de la brave nation hongroise* en notre faveur, nouvellement manifestée dans la séance de la diète* du 28 décembre ; 4° l’accueil
que fit la chambre des communes en Angleterre, à une pétition présentée […] au
nom des habitants de Kingston […].
[... pages 24-26 : texte du point 1]»
[... pages 24-26 : texte du point 1]»
Notes
*M. Pozzo di Borgo : Charles André Pozzo
di Borgo (1764-1842), Corse, passé au service de la Russie ; il entre
dans la diplomatie au moment où Adam Czartoryski est ministre des Affaires
étrangères du tsar Alexandre 1er ; ambassadeur de Russie en France de 1814 à 1835
*diète : la diète hongroise de Budapest
*Kingston :??
*Kingston :??
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Débats de la chambre française
La tribune française vient encore
de retentir cette année des débats de nos affaires ; notre cause s’est
montrée, malgré le temps qui nous sépare de ses derniers désastres, toute
fraiche, toute imposante, plus imposante peut-être que l’année dernière, car
cette fois aucune voix ne s’est élevée contre elle. Si nous avons à déplorer
quelque chose, ce sont les malheureuses convenances diplomatiques, qui, toutes
les fois qu’il s’agit de la question polonaise, semblent autoriser les
ministres à se renfermer dan les limites d’une inconcevable réserve, et même à
hasarder, dans la chaleur des débats, des faits dont nous pouvons, mieux que
tout autre, apprécier l’injustice ; car, ce qui navre nos cœurs, ce qui insulte
en quelque sorte à notre infortune, ce sont ces égards qu’ils croient devoir
observer toujours envers ce potentat* dont ils condamnent intérieurement la
conduite, dont l’audace, les excès et la cruauté n’ont pas d’équivalent dans
l’histoire. Si du haut de la tribune ils ont qualifié de monstre le tyranneau
de Portugal*, de quelle épithète ne devraient-ils pas se servir pour caractériser
l’exterminateur de la Pologne !
Nous allons reproduire les
passages relatifs à notre cause, des discours qui ont été prononcés pendant les
mémorables séances des
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19 et 20 février, et la polémique qui en est résultée dans
les journaux de différentes couleurs. »
Notes
*potentat : il s’agit de Nicolas 1er, tsar de Russie et roi de Pologne (1825-1856)
*le tyranneau de Portugal : il s’agit de Michel 1er (don Miguel, 1802-1866), présent sur le trône de 1828 à 1834 (voir la page La
légion polonaise au Portugal pour les informations sur la crise de succession portugaise à cette époque)
Texte du débat
« Séance du 19
M. de Podenas*. – Ne ferons-nous
pas entendre une voix amie pour cette Pologne, si généreuse, si fidèle à ses
vieilles affections pour la France, aujourd'hui en proie à tant de
douleurs ? Ne trouverons-nous pas dans ces mêmes traités* dont nous avons
reconnu l’existence, quelque clause à invoquer pour alléger son infortune ?
M. Salvert*. – Ne craignez pas que je renouvelle des sentiments douloureux en vous parlant d’un autre pays. L’histoire dira que ce pays a voulu la liberté, l’indépendance, la nationalité, et qu’il y a marché avec gloire. La liberté, l’indépendance, la nationalité ont passé ; la gloire ne périra pas ; mais chaque fois qu’on parlera de la Pologne, les Français se tairont et baisseront les yeux.
M. Salvert*. – Ne craignez pas que je renouvelle des sentiments douloureux en vous parlant d’un autre pays. L’histoire dira que ce pays a voulu la liberté, l’indépendance, la nationalité, et qu’il y a marché avec gloire. La liberté, l’indépendance, la nationalité ont passé ; la gloire ne périra pas ; mais chaque fois qu’on parlera de la Pologne, les Français se tairont et baisseront les yeux.
M. Alexandre Laborde* parlant
pour le ministère, n’a fait entendre, au sujet de la Pologne, que ces
paroles :
C’est ainsi que nous avons accueilli
les débris d’un peuple héroïque, que son vainqueur irrité aurait voulu
poursuivre jusqu’au milieu de nous, et que la Russie a dévoré loin de nous son
mécontentement.
Le général Lafayette*. – Quant à
la Pologne, il n’y a pas d’horreurs qui ne s’y commettent. Lisez les papiers
anglais*, vous verrez les détails racontés par des témoins oculaires, et je pourrais
citer en témoignage le consul anglais à Cronstadt*, devant la maison duquel un
nombre de Polonais ont été suppliciés pour avoir refusé le serment à
l’oppresseur. Les circonstances en sont horribles ; il s’agit de quatre,
cinq ou six mille coups de bâton, après lesquels les braves Polonais expirent
plutôt que de vouloir prêter serment ; on leur déclare qu’ils seront
frappés jusqu'à la mort, à moins qu’ils ne prêtent le serment. J’épargne ces
détails à la Chambre ; ils sont affreux et soulèvent le cœur.
Dernièrement je me suis plaint,
ou plutôt j’ai dénoncé l’enlèvement des enfants nés en Pologne. L’empereur
Nicolas rencontra près de Kiow*, sur son chemin, six cents de ces enfants, qui
étaient
Notes
*M. de Podenas :
Joseph de Podenas (1782-1851), député de l’Aude de 1829 à 1834 (alors membre du
« Tiers parti »)
*traités :
essentiellement le traité de Vienne de 1815
*M. Salvert :
pas de député de ce nom ; en revanche, on trouve Anne, Joseph, Eusèbe
Baconnière de Salverte (1771-1839), député de la Seine de 1828 à 1839, membre
de la « Gauche »
*M. Alexandre Laborde :
Alexandre de Laborde (1773-1842), député de la Seine de 1827 à 1834, de la
Seine-et-Oise de 1834 à 1841
*le général Lafayette :
Gilbert du Motier de Lafayette (1757-1834)
*les papiers anglais : les journaux
anglais (papers, newspapers)
*Cronstadt :
port militaire de Saint-Pétersbourg, sur le golfe de Finlande
*Kiow : Kiev
(Kijów en polonais)
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conduits ou en Sibérie, ou dans
les montagnes du Caucase. Ces malheureux se crurent sauvés, mais il fut loin
d’en être ainsi : on a fait continuer leur route aux trois cents enfants
mâles, et les filles ont été distribuées à des officiers russes, et à quiconque
a voulu en avoir (sensation). C’est
un fait que je crois sûr, et je prie la Chambre d’avoir quelque confiance dans
mes assertions ; car vous devez vous rappeler que la Gazette d’Augsbourg, qui, dans un articles communiqué de Russie, a
dit beaucoup de mal de quelques uns de mes collègues, et de M. le ministre des
Affaires étrangères lui-même, pour la part qu’il avait prise à la discussion,
s’est bien gardé de prononcer le nom de celui qui avait dénoncé le plus
d’horreurs, parce qu’il aurait fallu les nier, et que cela aurait été
impossible.
Je sais bien qu’on me reproche
d’appeler les gens par leur nom, de perdre le respect pour les têtes couronnées.
j’avoue que, de ce côté, je n’avais pas grand’chose à perdre, non plus qu’à la
perte de bienveillance à laquelle je m’expose ; mais je crois de ma
conscience, de mon honneur, de dénoncer tous ces faits ; comme il est de
l’honneur de la France, pour laquelle la Pologne s’est soulevée, et à laquelle
elle a évité cette guerre* dont j’ai donné la preuve matérielle à la Chambre, preuve
qui m’a été fournie par le grand-duc Constantin* lui-même, non pas tout-à-fait
par lui-même, mais par l’oubli qu’il fit d’emporter avec lui son portefeuille
dans l’armoire du Belvédère* où il s’était caché ; je crois, dis-je, qu’il
est de l’honneur de la France de mettre fin à toutes ces abominations.
Telle est la question, ou plutôt
la dénonciation que j’avais à faire, et sur laquelle je désirerais des
explications. Je voudrais que le gouvernement français prît des mesures
efficaces pour faire cesser toutes ces horreurs, qui réellement font frémir
l’humanité. (Marques d’approbation,
attestées par le Moniteur même.).
M. de Broglie*, ministre des Affaires
étrangères. – Quant à la Pologne, que voulez-vous que je dise, Messieurs ?
Nous avons traité une fois ce triste sujet. On énumère, on raconte ici des
faits dont je n’ai, pour ma part, aucune connaissance. Je dois dire
Notes
*cette guerre :
celle que la Russie aurait envisagée suite à la révolution de Juillet et à
l’indépendance de la Belgique
*le grand-duc
Constantin : Constantin Romanov (1779-1831), frère des tsars Alexandre
1er et Nicolas 1er, il occupe le poste de « chef de
l’armée du royaume de Pologne » de 1815 à 1830 et en est de facto le
principal responsable
*Belvédère :
le palais du Belvédère de Varsovie, résidence de Constantin durant son mandat
dans le royaume de Pologne
*M. de Broglie :
Victor de Broglie (1785-1870), ministre des Affaires étrangères de 1832 à 1834,
puis de 1835 à 1836 (avec la présidence du Conseil)
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que, bien que les consuls et les
autorités que nous avons en ce pays soient interrogés par le ministre des
affaires étrangères avec beaucoup de soin et de régularité, aucun des faits que
vous a signalés l’honorable général n’est venu jusqu'à lui (1). Je dois croire
qu’il y a tout au moins beaucoup d’exagération dans ces tristes
narrations ; quelque peu de vérité qu’il puisse y avoir, c’est trop sans
doute, et le gouvernement partage les sentiments que ces narrations doivent
inspirer.
Que voulez-vous que nous puissions
répondre sur ce point ? Nous ne possédons pas la Pologne, nous n’avons pas
de gendarmes pour faire la justice dans les différents points de ces contrées.
Nous ne pouvons que faire des représentations, qu’invoquer le droit, la raison,
la justice et l’humanité (2). Nous remplissons ce devoir, et
(1) Le National* du 25 février relève ce passage du discours de M. le
ministre, en disant ce qui suit : « Un négociant français, qui se
trouvait à Saint-Pétersbourg lors du supplice des verges infligé, à Cronstadt,
à des Polonais qui refusèrent de prêter serment à Nicolas, certifie que M.
Fubin*, vice-consul ou agent consulaire de France à Cronstadt, y était présent à
la dite époque, et n’a pu ignorer aucune circonstance de cet acte de barbarie,
exécuté, au grand jour, sur la place publique, dans une petite ville, et non
loin de son domicile. »
Mais ce qui est encore plus
positif, c’est que le sieur Buquet*, courrier du cabinet français, se trouvant
fortuitement à Cronstadt, a été témoin du supplice de ces Polonais ; il en
a raconté les détails le lendemain à Saint-Pétersbourg, en présence de deux
personnes actuellement à Paris. A l’extrémité de chaque rang de soldats russes
qui fustigeaient les malheureux rebelles, était un prêtre avec l’Evangile, pour
recevoir le serment que cette torture leur aurait arraché.
Le sieur Buquet est de retour à
Paris depuis plus d’un mois ; il demeure rue du Faubourg-Saint-Honoré, à
l’angle de la rue des Champs-Élysées, n° 12 ou 15.
Si donc M. de Broglie n’a pas
reçu de communication à ce sujet, c’est bien la faute de ses agents ; à
présent il saura à qui il peut s’adresser.
(2) Vis-à-vis un souverain loyal,
un gouvernement juste et équitable, recherchant sincèrement la bonne amitié des
états civilisés, sans doute tous ces motifs sont d’un grand poids. Vis-à-vis la
Russie, nous osons le prédire au ministère, leur tâche sera inutile ; la
seule raison envers un gouvernement qui ne fonde sa puissance que sur la
brutalité et l’usurpation, est la force, et rien que la force. Mépriser et
combattre, voilà le rôle qui convient à la France de juillet vis-à-vis la
Russie ; puisse-t-elle reconnaître jamais la grandeur des ressources dont
elle peut disposer !
Notes
*Le National : journal fondé en janvier 1830 par Adolphe Thiers,
dans la mouvance de Jacques Laffitte (il dure jusqu’au coup d’Etat de 1851)
*Adolphe Thiers (1797-1877), député de 1830 à 1851 ; ministre de l’Intérieur d’octobre à décembre 1832 (gouvernement Soult) ; ministre des Travaux publics de janvier 1833 à avril 1834 (idem) ; ministre de l’Intérieur d’avril à juillet 1834 (idem)
*Jacques Laffitte (1767-1844), banquier et homme politique ; ministre des Finances et président du Conseil de novembre 1830 à mars 1831
*Fubin : ???
*Buquet : ???
*Adolphe Thiers (1797-1877), député de 1830 à 1851 ; ministre de l’Intérieur d’octobre à décembre 1832 (gouvernement Soult) ; ministre des Travaux publics de janvier 1833 à avril 1834 (idem) ; ministre de l’Intérieur d’avril à juillet 1834 (idem)
*Jacques Laffitte (1767-1844), banquier et homme politique ; ministre des Finances et président du Conseil de novembre 1830 à mars 1831
*Buquet : ???
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je répète ce que j’ai déjà eu l’honneur de dire à la
Chambre, c’est que je ne crois pas que des discussions sur ce sujet soient bien
propres à nous aider dans la triste et douloureuse tâche que nous avons
entreprise à ce sujet.
(La suite dans la
prochaine livraison.) »
A suivre
Création : 30 septembre 2015
Mise à jour : 19 octobre 2015
Révision : 30 juin 2017
Auteur
: Jacques Richard
Blog :
Sur Frédéric Chopin Questions historiques et biographiques
Page : 212 Le débat parlementaire du 19 février 1833 sur la situation du royaume de Pologne : texte
Lien : http://surfredericchopin.blogspot.fr/2015/09/debat-19-fevrier-1833-texte.html
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