Les débats à la Chambre des députés les 19 et
20 février 1833 : analyse et commentaires
Classement : histoire des relations
franco-polonaises
Ceci est une suite des pages
dans lesquelles sont reproduits les débats du 19 et du 20
février 1833, tel qu’ils apparaissent dans le livre Souvenirs
de la Pologne (pages
52-60).
On trouvera ci-dessous une analyse de ces débats, suivie de quelques commentaires.
Analyse
L’ouvrage indique (page 24) que les
débats sur la Pologne ont lieu les 19 et 20 février 1833 en relation avec la discussion
du budget des affaires étrangères.
Le débat du 19 février
Manifestement, le débat ne portait pas principalement sur la
Pologne ; il est probable que chacun des intervenants mentionnés a parlé
sur différents thèmes de politique étrangère, dont la Pologne ; seul Lafayette
en a parlé assez longuement. Pour les autres, l’ouvrage cité ne reproduit qu’un
extrait de leur discours, extrait dont le contenu est d’un intérêt limité.
Le discours de Lafayette
Il évoque des « horreurs » commises par les
Russes, notamment une séance punitive qui se serait déroulée à Cronstadt à l’encontre
de Polonais refusant de prêter serment au tsar [ce point serait à approfondir]
et la rencontre entre le tsar et un convoi d’enfants polonais emmenés en
Russie ; il souhaite une intervention du gouvernement français pour faire
cesser ce genre de choses.
La réponse de Victor de Broglie
Il affirme
1) ne pas être au courant des faits précis rapportés par
Lafayette ;
2) estimer qu’il y a « quelque exagération » ;
3) mais que « quelque peu de vérité qu’il puisse y
avoir, c’est trop sans doute, et le gouvernement partage les sentiments que ces
narrations doivent inspirer » ;
4) que la France ne peut pas agir autrement qu'en paroles, doit s'en tenir à
« faire des représentations », à « invoquer le droit, la raison,
la justice et l’humanité ».
Dans l’ensemble, les mentions du 19 février sur la Pologne
se placent donc sur le plan humanitaire de « l’excès de la répression
russe », sur laquelle tout le monde semble d’accord, le ministre estimant
tout de même qu’elle est moins excessive que ne le dit l’opposition et il
affirme que seule une action verbale (« représentations ») est
possible, appelant à la discrétion, pour justement ne pas gêner ces
représentations [thème classique : seule l’action cachée est efficace].
Le débat du 20 février
Il s’agit d’un véritable débat sur la situation
du royaume de Pologne, mené d’un point de vue diplomatique et géopolitique, et non
plus humanitaire. Ce débat est marqué par une déclaration du député François
Mauguin auquel répond le ministre de l’Instruction publique, François Guizot.
Après une nouvelle déclaration de François Mauguin, interviennent Odilon
Barrot, auquel répond le ministre du Commerce, Adolphe Thiers, puis Victor
Destutt de Tracy, dernier orateur.
La déclaration de François Mauguin
Il écarte la question humanitaire pour mettre l’accent sur
la question de l’application « des traités », violés par la Russie du
fait de la suppression de la constitution et de l’administration spécifique de
la Pologne ; selon lui, il ne faut pas seulement invoquer « l’humanité
et la justice », mais exiger l’application des traités. Il ajoute que
c’est d’autant plus nécessaire que la Russie est sortie de cette guerre renforcée par sa
victoire sur l’insurrection polonaise, et qu’elle a renforcé son alliance avec
la Prusse et l’Autriche.
Réponse de François Guizot
Son argument immédiat est qu’aucun changement n’a eu lieu en
Pologne : « elle est retombée dans une situation à peu près semblable
à celle dans laquelle elle se trouvait », puisqu’elle n’était pas
indépendante et qu’elle ne l’est toujours pas. Donc la France n’a subi aucun
désavantage du fait de la défaite des insurgés.
Réponse de François Mauguin
Il cite plusieurs points sur lesquels la Pologne a subi une
régression importante de son statut.
Intervention d’Odilon Barrot
Il s’appuie sur une analyse selon laquelle, d’après les
traités, « la Pologne n’appartient à la Russie que par la constitution qui
veut que la Pologne s’appartienne à elle-même » ; puis il généralise
et étudie le problème de ce qui « constitue la nation qui s’appartient, et
qui est réunie à une autre nation, comme la Hongrie à l’Autriche » :
« la nation a une constitution, une armée, une justice, une administration
à elle ; qu’elle ne se rattache à la métropole que dans les limites de la
constitution », condition qui dans le cas de la Pologne a manifestement été
violée par la Russie.
Sa conclusion est identique à celle de François
Mauguin : le gouvernement doit exiger l’application des traités.
Réponse d’Adolphe Thiers
Elle est très courte (environ 5 lignes).
Thiers estime qu’en agissant comme il l’a fait, le
gouvernement français « a sauvé non seulement la
paix, mais la liberté » et qu’en ce qui concerne la Pologne, il n’a pas pu
sauver sa liberté, puisque celle-ci n’existait pas.
Déclaration de Victor Destutt de Tracy
Il met l’accent sur l’augmentation des ressources dont
bénéficie la Russie dans la nouvelle situation, grâce à la suppression de
l’armée du royaume de Pologne et aux confiscations. Ensuite, il résume les
« malheurs de la Pologne » à ceci que « cette nation généreuse
dont on devait maintenir la nationalité. Eh bien ! elle n’existe
plus ».
Il met ensuite en exergue une analyse de Thiers dans son
livre sur la Révolution, à propos de l’abandon de Venise en 1797 et de l’abandon
de la Pologne en 1793-1795, analyse qui contredit le point de vue adopté
maintenant par Thiers.
Notes
*Odilon Barrot (1791-1873), préfet de la Seine en 1830 ; député de l’Eure, du Bas-Rhin, puis de l’Aisne ; président du Conseil sous la Seconde République
*François Guizot (1787-1874) : ministre de l'Intérieur (août-novembre 1830) ; ministre de l’Instruction publique (octobre 1832-février 1836)
*Victor Destutt de Tracy (1781-1864), député de 1827 à 1851, siégeant dans les rangs de la gauche sous la monarchie de Juillet ; fils du philosophe Antoine Destutt de Tracy (1754-1836)
*François Mauguin (1785-1854), député de la Côte-d’Or de 1827 à 1851, spécialiste à cette époque des questions de politique étrangère
*Adolphe Thiers (1797-1877), député de 1830 à 1851 ; ministre de l’Intérieur d’octobre à décembre 1832 (gouvernement Soult) ; ministre des Travaux publics de janvier 1833 à avril 1834 (idem)
*Odilon Barrot (1791-1873), préfet de la Seine en 1830 ; député de l’Eure, du Bas-Rhin, puis de l’Aisne ; président du Conseil sous la Seconde République
*François Guizot (1787-1874) : ministre de l'Intérieur (août-novembre 1830) ; ministre de l’Instruction publique (octobre 1832-février 1836)
*Victor Destutt de Tracy (1781-1864), député de 1827 à 1851, siégeant dans les rangs de la gauche sous la monarchie de Juillet ; fils du philosophe Antoine Destutt de Tracy (1754-1836)
*François Mauguin (1785-1854), député de la Côte-d’Or de 1827 à 1851, spécialiste à cette époque des questions de politique étrangère
*Adolphe Thiers (1797-1877), député de 1830 à 1851 ; ministre de l’Intérieur d’octobre à décembre 1832 (gouvernement Soult) ; ministre des Travaux publics de janvier 1833 à avril 1834 (idem)
Commentaires (inachevés)
1) L'usage du mot « Pologne »
On notera tout d’abord que les orateurs utilisent ce mot de façon ambiguë : parfois il s’agit de l’ancien
Etat polonais ou de l’ensemble des territoires actuels de peuplement polonais, mais le
plus souvent « Pologne » signifie « royaume de Pologne »,
formule qui n’est jamais utilisée (bien qu’elle soit d’usage officiel à l’écrit
tant dans le royaume de Pologne lui-même qu’en Russie et en France). Il est
vrai qu’à l’époque, après l’échec de l’insurrection de 1830-1831, la formule
« royaume de Pologne » est mal considérée chez les réfugiés polonais
(qui écrivent plutôt « prétendu royaume de Pologne »).
Cette ambiguïté est présente, par exemple, dans le passage suivant du discours de François Mauguin : « D’après les traités de 1815, la
Pologne [= « le royaume de Pologne »] devait avoir une administration
distincte. Le second paragraphe de l’article premier du traité, porte que les
Polonais [= « les ressortissants de l’ancienne Pologne »], sujets
respectifs de la Prusse, de l’Autriche et de la Russie, obtiendront une
représentation, des institutions nationales » et chez Odilon Barrot :
« La Pologne [= « le royaume de Pologne »], après des partages
successifs [de l’ancienne Pologne], fut définitivement attribuée, par les
traités de 1814 et de 1815 à la Russie ».
2) Le problème de l’ « inexistence de la Pologne »
Le débat est intéressant en ce qu’il révèle un point
d’accord entre les deux parties : du côté de l’opposition
*François Mauguin
« la Pologne [=le royaume de Pologne] n’existe
plus ; elle est une partie du vaste empire russe, dans lequel elle est
entièrement fondue ».
*Victor Destutt de Tracy :
« cette nation généreuse dont on devait maintenir la
nationalité. Eh bien ! elle n’existe plus »
La formulation de Destutt de Tracy est critiquable, car on
ne voit pas au nom de quoi il peut estimer que la « nation
polonaise » a disparu. Il confond ici les notions de « nation »
et d’ « Etat ». En fait, il parle lui aussi du royaume de
Pologne !
Je m’en tiendrai donc à considérer le problème de
l’existence d’un Etat polonais, en l’occurrence, le royaume de Pologne de 1815,
existence qui est niée par ces deux orateurs de l’opposition.
Du côté du gouvernement, on pourrait dire que les
formulations sont plus complexes, mais elles reviennent au même.
*François Guizot
« la Pologne, lorsqu’elle s’est soulevée, n’existait
pas. Elle s’est soulevée pour tâcher d’exister ; mais auparavant la
Pologne n’existait pas comme nation s’appartenant à elle-même. »
« elle est retombée dans une situation à peu près
semblable à celle dans laquelle elle se trouvait ».
Cette affirmation de 1833 selon laquelle « la Pologne
n’existe plus » est peut-être le fondement d’une opinion française que
l’on retrouve couramment par la suite, par exemple chez Alfred Jarry à la fin du XIXème
siècle, ou au XXème siècle sous la plus de Gérard Noiriel. Dans son livre Réfugiés et sans-papiers, il écrit (en référence à l’époque de la monarchie de Juillet) page
77 : « il n’existe plus ni nation ni Etat
polonais », formule qui d’ailleurs nie expressément la survie de la nation
polonaise.
Mais, dans le contexte de 1833, il s’agit de la part des
orateurs d’un énoncé polémique, et non pas de la conclusion d’une analyse
d’historien : pour l’opposition, il s’agit d’établir un contraste entre la
situation (positive) d’avant 1831 et la situation (négative) actuelle ;
pour le gouvernement, il s’agit de minimiser ce contraste, mais en disant que
la situation ancienne n’est pas différente de la situation actuelle (négative).
3) L’analyse de la situation antérieure
Elle est inexacte dans les deux camps, mais surtout dans celui
du gouvernement.
Le déni d’une différence réelle entre la situation actuelle
et la situation antérieure n’est évidemment pas tenable ; Guizot n’apporte
aucune preuve, et cela lui est clairement signalé, en vain d'ailleurs.
Mais l’opposition fait une erreur d’analyse (pas forcément
volontaire d’ailleurs) en rapportant tout ce qui existait dans le royaume de
Pologne au traité de Vienne. En fait celui-ci est assez évasif : il parle
effectivement d’ « administration distincte », mais ne spécifie ni la
constitution, ni le contenu de la constitution, ni l’armée, ni a fortiori
l’Université.
4) L’analyse de la situation actuelle
Le gouvernement est amené à minimiser les problèmes
conjoncturels (l’ampleur de la répression) et les problèmes structurels (la
régression du statut du royaume de Pologne), l’opposition à les maximiser.
5) Le problème de l’ampleur de la répression
Un problème ponctuel est celui de la validité des
accusations d’exaction proférées par les orateurs de l’opposition.
6) Quelques points annexes
L'exemple de la Bretagne.
Création : 19 octobre 2015
Mise à jour :
Révision : 30 juin 2017
Auteur
: Jacques Richard
Blog :
Sur Frédéric Chopin Questions historiques et biographiques
Page : 218 Les débats des 19 et 20 février 1833 : analyse et commentaires
Lien : http://surfredericchopin.blogspot.fr/2015/10/debat-19-20-fevrier-1833-analyse.html
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