Classement : questions biographiques ; écrits sur Chopin
Marie Landowska chez Emmanuel Langavant
Une des assertions d’Emmanuel Langavant concerne « la
grande claveciniste Marie Landowska », qui apparaît à deux reprises sur le
site « Chopin musicien français » :
1) page « Origine »
« CHOPIN
Polonais - du moins le dit-on en Pologne - mais sur les origines
françaises règne un silence ombrageux », constate un autre auteur français
( 3 [Amédée PONCEAU. La Musique et I’Angoisse . p. 128])
et M. BOURNIQUEL, dans son livre sur CHOPIN ( 4 [Nationalités, p. 17
Coll « Solfège » . éd du Seuil. I956. ])
rapporte que « les partisans farouches de la Polonité ont longtemps
multiplié les hypothèses invérifiables sur l'origine de la famille. Et on
rangera notamment dans cette catégorie le seul livre intitulé « De la
nationalité de CHOPIN », de la grande claveciniste Marie LANDOWSKA. Nul
n'attribuera plus crédit scientifique à son affabulation, suivant laquelle la
grand-mère CHOPIN aurait fauté avec un Polonais, venu à la suite du Roi Stanislas LECZINSKI en Lorraine, du nom de SZOP ... d'où CHOPIN !... »
[le guillemet précédant « les partisans » n’est pas refermé dans le texte de Langavant]
[le guillemet précédant « les partisans » n’est pas refermé dans le texte de Langavant]
2) page « La famille »
« Par
exemple. CORTOT écrit qu' « il n'a pas été possible d'identifier
les raisons d'une entreprise aussi délibérée » [le départ de Nicolas
Chopin pour la Pologne] ; il ajoute encore foi, p. 109, aux élucubrations de Marie
LANDOWSKA : « L'interprétation la moins invraisemblable qu'on ait pu
lui accorder est qu'elle répondait à l'obscure conviction d'un jeune paysan
qu'il était issu des imprudentes relations de sa mère avec un gentilhomme
appartenant a la suite du Roi Stanislas ».
De même Aguettant […]. »
Analyse
Les deux évocations ne sont pas cohérentes :
Les deux évocations ne sont pas cohérentes :
*la première parle d’une liaison entre la grand-mère de
Chopin et un noble polonais ;
*la seconde d’une liaison entre la mère de Chopin et un
noble polonais.
Il serait donc nécessaire de se reporter au texte original
de l’ouvrage où se trouve cette « affabulation » afin de savoir ce
que Landowska a écrit. Malheureusement, les références fournies sont insuffisantes.
Qui est « Marie Landowska » ?
La personnalité de « Marie Landowska » n’est pas
clairement établie. En dehors du travail d’Emmanuel Langavant, l’énoncé
« Marie Landowska » apparaît essentiellement dans un ouvrage de
Marie-Josèphe Bonnet, Violette Morris,
histoire d’une scandaleuse, Paris, Perrin, 2011 (cf. Google
Books, sans pagination) : « Les exercices pratiques des cadres et
principaux militants des légions francistes ont donc lieu au grand air, dans
des propriétés réquisitionnées par les Allemands, comme en mai 1943, à
Saint-Leu-la-Forêt, dans la propriété de Maria Landowska, claveciniste réputée
internationalement… »
Cette « Marie Landowska » apparaît aussi sur deux sites
Internet :
1) Le pêle-mêle d’Erminig (lien)
Il nous propose une « balade estivale (5) : Wanda Landowska, et d'autres sentiers... » :
Il nous propose une « balade estivale (5) : Wanda Landowska, et d'autres sentiers... » :
« Pour Wanda Landowska, nous commencerons par la même
pièce que pour Maria Yudina: petite pause sur la fantaisie chromatique.
On doit beaucoup
à Wanda Landowska : la renaissance du clavecin (en pensant, lorsque vous la
voyez et l'écoutez, que les instruments à sa disposition, étaient très lourds,
et bien différents de ceux que l'on trouve maintenant, après des décennies
d'éducation et de recherche en lutherie ancienne); la découverte du répertoire
contemporain (comme maria Yudina et bien d'autres, ces interprètes ne sont pas
restées confites dans la musique baroque, mais ont aussi les compositeurs
du XXème siècle, qu'elles ont
soutenues); et la redécouverte de grands compositeurs anciens.
Pour Maria Landowska, ce fut , par son travail en
particulier des variations Goldberg, la redécouverte de Bach, et son oeuvre
pour le clavier.
Wanda vécut longtemps en France, et sa maison se Saint Leu
la Forêt, siège de son école de musique ancienne, vient d'être racheté pour
l'ouvrir au public. »
Un internaute signale :
« J'ai effectivement toujours vu les clavecinistes
faire l'accord avant les concerts eux-mêmes, comme les harpistes.
Je crois que les clavecins modernes tels que ceux de Pleyel
(comme celui de Marie Landowska) avaient néanmoins un cadre métallique. http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Pl
... llique.JPG Mais de toute façon, il y a deux fois et demi moins de cordes
que sur un piano ! »
Marie = Wanda
Il semble bien que « Marie
Landowska » soit en fait Wanda
Landowska (1879-1959), notamment en référence à diverses indications : grande claveciniste, clavecin Pleyel (commandé par elle et
mis en usage en 1912) et propriété de Saint-Leu-la-Forêt (elle a acquis une
propriété à Saint-Leu en 1925, mais est partie en juin 1940 pour le sud de la
France et n’y est jamais revenue).
Noter que Wanda Landowska ne doit pas être confondue avec
Alice Wanda Landowski, qui utilise pour ses livres le nom d’auteur « W. L.
Landowski » (celle-ci est née en 1899) et qui a aussi écrit des choses sur
Chopin.
Qu’est-ce que le livre « De la nationalité de
Chopin » ?
L’existence d’un tel ouvrage reste à prouver : actuellement,
on n’en trouve trace ni sur Internet, ni dans les grands catalogues français
(BnF, SUDOC), ni isolément, ni en lien avec Maria Landowska, ni en lien avec
Wanda Landowska… (on ne trouve pas non plus trace d’un « sieur Szop »
ou d’un « pan Szop »).
Emmanuel Langavant semble pourtant se référer aux ouvrages
bien réels, quoique mal référencés par lui, d’Alfred Cortot et de Camille Bourniquel.
1) Alfred Cortot
Voir la page Alfred Cortot biographe de Chopin
(1949).
Si on se reporte, comme indiqué, aux pages 108-109 de l’ouvrage, on peut y lire très exactement ceci :
Si on se reporte, comme indiqué, aux pages 108-109 de l’ouvrage, on peut y lire très exactement ceci :
« On sait l’exode aventureux de Nicolas Chopin ;
sa fuite solitaire, en 1787, environ sa seizième année, du village de
Marainville, situé près de Nancy, et où, depuis des générations, ses ascendants
exerçaient les rustiques professions de charrons ou de vignerons. Et faisant
suite aux avatars de toute nature représentés par cette audacieuse équipée, son
arrivée et sa fixation définitive en Pologne. Il n’a pas été possible jusqu’à
présent d’identifier les raisons d’une entreprise aussi délibérée.
L’interprétation la moins invraisemblable qu’on ait pu lui accorder est qu'elle
répondait à l'obscure conviction du jeune paysan qu'il était issu des
imprudentes relations de sa mère avec un gentilhomme appartenant a la suite du
Roi Stanislas, dans le temps que celui-ci s’était vu dans l’obligation d’élire
résidence dans la capitale lorraine, et que son acte impulsif avait été
déterminé par la croyance qu’il lui permettrait de retrouver les traces de sa
filiation incertaine.
Pure supposition, au reste, et qui ne s’est vue l’objet
d’’aucune justification convaincante ; Chopin lui-même paraissant n’avoir
jamais eu confidence des motifs qui avaient pu susciter l’escapade paternelle,
et demeurant, jusqu’à sa mort, ignorant de l’existence des deux tantes qu’il
possédait à Marainville – où elles vivaient encore en 1845. »
On constate donc qu’Alfred Cortot ne se réfère pas à
« Marie Landowska » ; la formule « L’interprétation la
moins invraisemblable qu’on ait pu lui accorder » laisse entendre qu’il se
réfère à quelqu’un d’autre, mais de façon très elliptique (cela pourrait
relever de la conversation de salon).
2) Camille Bourniquel
Voir les pages qui sont consacrées à ce livre à partir de Camille Bourniquel biographe de Chopin.
Dans la bibliographie, on trouve une mention
« Landowski, Frédéric Chopin et
Gabriel Fauré, Richard Massé, 1946 », mais il s’agit d’Alice Landowski
(notice SUDOC).
Si on se reporte à la page 17 du livre de Camille
Bourniquel, on n’y trouve pas d’énoncés identiques à ceux que semble citer
Emmanuel Langavant, mais des phrases qui s’en rapprochent plus ou moins. On
peut y lire, notamment :
« On a pensé remédier à cette cascade d’anomalies [le
fait que la France ait tenu une grande place dans la vie de Chopin], tant par
des hypothèses invérifiables que par des faux. [… passage sur la correspondance
Chopin-Potocka, exemple, selon lui, de faux].
On parla d’abord d’une famille huguenote : les Chopin
d’Arnouville dont un membre se serait réfugié en Pologne après la révocation de
l’Edit (1685). Filière aussitôt abandonnée. Les Chopin étaient-il originaires
des Vosges ? On suscitait un ancêtre polonais, un certain Szop, qui aurait
suivi Stanislas Leczinski lorsque celui-ci vint en Lorraine. Quand l’ascendance
française parut certaine, on découvrit alors que le château de Marainville
appartenait à un comte polonais ; que celui-ci, ou son régisseur, ayant porté
de l’intérêt à l’éducation de Nicolas Chopin – études secondaires à
Nancy ? – la mère du garçon pourrait bien ne pas avoir été sans reproche.
Revenons aux faits. [il présente ensuite l’acte de baptême de Nicolas
Chopin] »
On retrouve donc la formule « hypothèses
invérifiables » et le nom « Szop », mais le reste (« les
partisans farouches de la Polonité », « affabulation de Marie
Landowska », etc.) ne vient pas de Bourniquel ; celui-ci ne se réfère
aucunement à quelque Landowska que ce soit. Il est vrai qu’il ne se réfère à
personne de très précis, puisqu’il dénonce un certain « on », dont on
ne sait pas à qui il correspond concrètement).
Conclusion
A ce stade, on doit constater qu’Emmanuel Langavant s’est
livré à une manipulation de ses sources (Cortot et Bourniquel, déjà plus ou
moins manipulatrices), afin de désigner une coupable « Marie
Landowska » dont en réalité ils ne parlent pas, et dont il semble très
difficile, sinon impossible, de retrouver la trace.
Il n’en reste pas moins que quelqu’un a dû parler d’un sieur
« Szop », ainsi que d’une naissance adultérine de Nicolas Chopin.
Mais, pour le moment, nous nous trouvons dans une impasse…
A suivre
*Sur un article de Wanda Landowska dans le Mercure de France (1911)
Création : 20 mars 2013
Mise à jour : 13 mars 2014
Révision : 2 septembre 2017
Auteur
: Jacques Richard
Blog :
Sur Frédéric Chopin Questions historiques et biographiques
Page : 38 Emmanuel Langavant : à propos de Marie Landowska
Lien : http://surfredericchopin.blogspot.fr/2013/03/emmanuel-langavant-propos-de-marie.html
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