Que dit la presse d’une ville de province à la mort
de Chopin ?
Classement : questions biographiques ; documents ; Chopin
Après un aperçu relativement détaillé de la presse polonaise au temps de la jeunesse de Chopin, j’en viens à la presse
française grand public, laissant de côté les journaux spécialisés, qui sont
évoqués et cités dans les biographies de Chopin.
J’ai étudié par ailleurs l'article conséquent du Journal de Rouen (1er décembre 1849) à propos des funérailles de Chopin, assez important pour être signalé par différents auteurs, à commencer par Frederick Niecks. Le cas de Rouen, en ce qui concerne Chopin, est particulier, du fait qu’il s’y était produit en concert en 1841, ce qui n’est pas arrivé dans tellement d’autres villes.
J’ai étudié par ailleurs l'article conséquent du Journal de Rouen (1er décembre 1849) à propos des funérailles de Chopin, assez important pour être signalé par différents auteurs, à commencer par Frederick Niecks. Le cas de Rouen, en ce qui concerne Chopin, est particulier, du fait qu’il s’y était produit en concert en 1841, ce qui n’est pas arrivé dans tellement d’autres villes.
Je présente ici deux publications de la presse nantaise conservées aux Archives municipales
de Nantes : Le National de
l’Ouest (républicain, lié à la famille Mangin) et Le Breton (libéral, lié à la famille Mellinet). Ce sont des
journaux standard de l’époque, édités sur seulement 4 pages, dont la dernière
consacrée à des annonces diverses.
Le National de l’Ouest
Il s’agit d’un journal à orientation fortement politique, qui
consacre une place importante aux séances de l’Assemblée, et, à l’époque, à un procès devant la Haute Cour de Versailles ; il ne donne pas
d’informations générales, sauf sur des sujets locaux.
Sauf erreur, il ne mentionne pas la mort de Chopin.
Le Breton
Chopin
En revanche, celui-ci parle de la mort de Chopin, dans une rubrique « Faits divers » qui occupe régulièrement une à deux colonnes (en page 3). Le numéro du 20 octobre (trois jours seulement après l’événement) indique :
En revanche, celui-ci parle de la mort de Chopin, dans une rubrique « Faits divers » qui occupe régulièrement une à deux colonnes (en page 3). Le numéro du 20 octobre (trois jours seulement après l’événement) indique :
« M. Frédéric Chopin, le
célèbre pianiste, est mort le 17 de ce mois, à deux heures du matin, entre les
bras d’un de ses élèves et de ses amis ; il a succombé à la maladie de
poitrine dont il était affecté depuis longtemps. M. Chopin n’était âgé que de
trente-neuf ans. ».
En revanche, les funérailles (30 octobre) ne semblent pas mentionnées.
Dans ces conditions, on peut s’interroger sur la signification de la formule
« le célèbre pianiste ». Il paraît alors utile de comparer
l’information sur la mort de Chopin avec d’autres relevant de la même rubrique
« Faits divers ».
Lola Montès
Le jeudi 25 octobre, on trouve une information typiquement « people » :
« Une nouvelle phase de la
vie de Lola-Montès.
Une correspondance particulière
que nous recevons de Tortosa nous apprend que Lola-Montès a eu, avec son jeune
mari*, une discussion assez vive pour qu’elle se soit terminée par un coup de
poignard donné à M. Heald par la comtesse de Landsfeld. M. Heald, peu satisfait
de cette marque de tendresse conjugale, s’est empressé d’abandonner Lola-Montès,
qui se trouve maintenant dénuée de ressources dans un hôtel de Tortosa et qui a
dû se réclamer du consul anglais. »
*Lola Montez (Eliza Gilbert, 1821-1861),
comtesse de Landsfeld (1847), a épousé George Heald en 1848.
Lola-Montès bénéficie de 399 caractères d’imprimerie, contre
216 pour Chopin. La rédaction manifeste un certain intérêt à son égard : l’entrefilet
se réfère à une « correspondance particulière » présentée comme spécifique
au journal, ce qui reste à vérifier, mais est significatif. Il est probable que
Lola-Montès est réellement « célèbre » pour les lecteurs de ce
quotidien, assez pour qu’il ne soit pas nécessaire de la qualifier comme telle.
Fait divers parisien
« Tout Paris a remarqué un
pauvre fou que l’on rencontrait chaque jour à la Bibliothèque nationale et aux
Tuileries, habillé de rouge et de jaune, le chapeau couronné de fleurs.
Il s’appelait Carnavale. C’était
un professeur célèbre de langue italienne, devenu fou, il y a vingt ans, sous
le coup d’un terrible désespoir d’amour. Avant-hier, vendredi, à onze heures du
soir, il est mort à l’hospice Beaujon, d’une chute qu’il a faite il y a quelques
jours dans la rue Saint-Honoré. » (399 caractères)
On est ici dans un autre cas de figure. La référence
temporelle « avant-hier vendredi » est en effet inexacte dans un
journal du jeudi 25 octobre : donc, ou bien l’information provient d’une
agence, ou bien elle est reprise d’un journal parisien, en date du dimanche 21. D’autre
part, l’entrefilet indique clairement que l’individu en question était connu de
« tout Paris » (les gens cultivés en tout cas). On peut se demander
pourquoi un journal nantais répercute cette information sans intérêt local
(sans grand intérêt par ailleurs), visiblement sans que l’on ait pris la peine
de relire le texte. Peut-être faisait-elle partie d’un « pack »
d’informations en provenance de Paris, diffusé ici pour des raisons diverses
(snobisme notamment).
[Ajout du 28/10/2013
Le même texte se trouve dans le Journal de l'Ain du 26 octobre, avec cependant une phrase en plus : « Il était, sans fortune, proscrit de Naples, où pourtant habite sa famille, noble, riche et puissante. ». La référence temporelle a aussi été mise au point : « Vendredi dernier ».
Malgré tout, cela semble bien démontrer qu'on a affaire à de l'information standardisée élaborée à Paris et diffusée dans le pays.]
Le même texte se trouve dans le Journal de l'Ain du 26 octobre, avec cependant une phrase en plus : « Il était, sans fortune, proscrit de Naples, où pourtant habite sa famille, noble, riche et puissante. ». La référence temporelle a aussi été mise au point : « Vendredi dernier ».
Malgré tout, cela semble bien démontrer qu'on a affaire à de l'information standardisée élaborée à Paris et diffusée dans le pays.]
Analyse
En ce qui concerne Chopin, je suppose que sa mort est citée
pour la même raison : parce qu’elle faisait partie du lot. Il est certain
que Chopin était célèbre à Paris ; les lecteurs du journal apprennent
probablement simultanément qu’il est mort et qu’il est célèbre (donc qu’il est
de bon ton de le connaître) ; cependant, il est possible qu’il ait été
connu en tant que musicien par quelques personnes à Nantes, à travers les
partitions éventuellement disponibles, voire des concerts (autres points à
vérifier).
Le contenu de la note sur Chopin est intéressant :
1) Elle donne à Chopin l’âge de 39 ans, situant donc
correctement sa naissance en 1810.
2) Elle donne la cause du décès (« maladie de
poitrine »)
3) Elle mentionne « un élève et des amis »
4) Elle le qualifie comme « pianiste », non comme
compositeur.
Ce qu’elle ne dit pas est aussi intéressant :
1) Elle n’évoque ni sa naissance en Pologne, ni le fait que
son père était né en France (choses connues, comme on le voit dans le Journal
de Rouen). Pour le lecteur de ce journal nantais, Frédéric Chopin apparaît probablement, vu son nom, comme un pianiste français.
2) Elle n’évoque pas non sa relation avec George Sand,
personnalité certainement plus connue dans le public cultivé provincial que
Chopin (peut-être parce que ni George Sand ni Chopin ne relèvent aux yeux des
journalistes de l’époque de la sphère du « people », contrairement à
Lola Montez, actrice et courtisane).
A suivre
Création : 13 octobre 2013
Mise à jour : 28 octobre 2014
Révision : 3 août 2017
Auteur
: Jacques Richard
Blog :
Sur Frédéric Chopin Questions historiques et biographiques
Page : 118 Chopin dans la presse nantaise (1849)
Lien : http://surfredericchopin.blogspot.fr/2013/10/chopin-presse-nantaise-1849.html
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire